Chaque semaine, nous vous proposons d’explorer une citation marquante, pour en révéler toute la profondeur et la richesse. Nous vous invitons à un voyage passionnant au cœur de la pensée psychanalytique, pour mieux comprendre nos désirs, nos angoisses et nos relations aux autres. Prêts à plonger dans les eaux profondes de l’inconscient?
"La guerre est mère de toutes choses, reine de toutes choses".
La célèbre formule d’Héraclite, philosophe grec de l’Antiquité, semble à première vue faire l'apologie de la violence et du conflit.
Nous allons tenter de démontrer que la sagesse d’Héraclite, dans cette citation, vise le potentiel créateur de tout conflit et que loin de glorifier la guerre, cette pensée offre en réalité une vision complexe de la dynamique psychique où les oppositions, correctement comprises et canalisées, deviennent sources de croissance et de création.
L'harmonie psychique ne résulte pas, en effet, de l'absence de conflit, mais de l'intégration dynamique des oppositions. Le parallèle entre la guerre héraclitéenne et le couple Eros-Thanatos s'impose naturellement. Ces deux pulsions fondamentales, loin d'être simplement antagonistes, constituent les deux faces d'une même médaille psychique. Leur interaction perpétuelle génère la dynamique même de la vie psychique. La véritable force psychique consiste à reconnaître et à accepter les conflits, internes ou externes, pour mieux les transformer, plutôt que de les nier ou de les projeter sur autrui de manière destructrice. Chaque sujet possède un mécanisme qui, par excellence, oriente les pulsions violentes vers des expressions constructives dont résulte une sorte d’alchimie psychique qui transforme le plomb du conflit en or de la création. L'équilibre psychique tant recherché ne peut se réduire à un état statique : il est une tension perpétuellement renouvelée car la santé psychique ne réside pas dans l'absence de conflit mais dans la capacité à maintenir un équilibre dynamique entre des forces opposées.
Quitte à prêcher dans le désert, nous ne pouvons que répéter que le conflit, externe ou interne, doit nous pousser vers la résolution pacifique plutôt que vers la violence stérile. Les conflits interpersonnels, par exemple, pour difficiles qu'ils soient, sont non seulement inévitables mais nécessaires à notre vitalité relationnelle. Ils font naturellement partie de tout rapport humain, et peuvent être source de meilleure compréhension mutuelle grâce à un véritable dialogue qui, bien plus que l’affrontement, apparaît comme l'outil fondamental de transformation des conflits. Il permet de comprendre en profondeur les points de vue respectifs, même opposés, de trouver des solutions créatives acceptables pour toutes les parties et de créer des ponts de compréhension plutôt que des murs d'incompréhension entre les individus. Ne peut-on en faire de même dans ce Moyen-Orient si volatil ? Ne peut-on parvenir à reconnaître que les différences sont naturelles et potentiellement fécondes, à communiquer de manière ouverte, franche et empathique, plutôt que d’adopter une attitude fondamentalement méfiante et agressive ? Ne peut-on admettre qu’à travers un dialogue courageux peut émerger une alternative éminemment civilisée à la violence destructrice ? Qu’il est possible d’aboutir à une compréhension mutuelle, à une recherche de solutions communes et au développement d'une paix durable, à résoudre pacifiquement nos différends, dans le respect des droits de chacun ? On pourrait penser que tout cela est bien utopique, mais comme l’a écrit Théodore Monot, " l’utopie n’est pas l’irréalisable mais c’est ce qui n’est pas encore réalisé ".
Face au conflit inévitable et nécessaire, la véritable sagesse consiste à chercher une résolution par la parole plutôt que par les armes. La cure analytique elle-même peut être comprise comme un espace où les conflits psychiques sont reconnus et transformés. Le cadre analytique permet la recherche d’une certaine harmonie à partir des tensions opposées. La résolution des conflits ne passe pas par sa négation simpliste ou l’évitement de la tension, en ne voulant voir, par exemple, que « le positif » uniquement, ni ne passe, a fortiori, par la victoire écrasante d'une partie sur l'autre. Elle réside au contraire dans l'intégration progressive des opposés, la transformation créative des pulsions contradictoires et l'acceptation lucide de la complexité de notre monde intérieur et extérieur. Un sujet pourra développer sa capacité à transformer les conflits en sources de croissance, notamment grâce à la redécouverte de sa subjectivité et de ses effets libérateurs. La guerre dont parle Héraclite ne peut être comprise comme une apologie de la violence destructrice, mais bien plutôt comme une lutte interne permanente entre l’amour et la haine, entre Eros et Thanatos afin que le sujet ne soit pas le jouet de ses pulsions destructrices.
L’histoire nous fournit des exemples édifiants : l'héritage de grands leaders comme Mohandas Karamchand Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela démontre de manière éclatante que les conflits les plus profonds et les plus enracinés peuvent être résolus par des moyens non-violents. Leur exemple prouve que la véritable force et le véritable courage résident dans la disposition à transformer le conflit plutôt que de l'alimenter par la violence. La puissance de la résistance passive, telle que pratiquée par ces figures historiques, montre que les changements politiques et sociaux obtenus par la persuasion, la persévérance et la non-coopération sont souvent plus durables que ceux imposés par la coercition et la force brutale. La non-violence, loin d'être une faiblesse, devient ainsi une force plus puissante et transformatrice que la violence elle-même.
Au lieu de nier le conflit, ces leaders visionnaires ont développé des méthodes concrètes et créatives pour le sublimer et le transformer en moteur de changement politique opportun, au moyen de l'utilisation stratégique de la résistance passive, le développement d’un dialogue véritable, même avec leurs opposants, la mise en place de boycotts économiques pacifiques. Leurs mouvements non-violents ont démontré de façon indéniable que des changements politiques majeurs et révolutionnaires sont possibles sans recourir à la violence, que la résistance passive organisée peut vaincre même les systèmes oppressifs les plus puissants, et que le dialogue authentique et persistant peut remplacer l'affrontement barbare stérile.
Dans cette région Moyen-Orientale marquée par la complexité croissante, l'incertitude anxiogène et les tensions exacerbées, la sagesse héraclitéenne nous offre un cadre conceptuel précieux pour aborder de manière civilisée les conflits politiques et sociaux de notre époque troublée. Elle est un appel vibrant à cultiver notre humanité dans ce qu'elle a de plus élevé : la quête permanente de compréhension de soi et de l'autre.
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