Sous les restes d’un vieux sapin de Noël, vestige des jours de fête et de prospérité au Liban, une famille de déplacés squatte sur la place des Martyrs, en plein cœur de Beyrouth.
“Que Dieu bénisse les mains chrétiennes qui ont installé cet arbre ici!”, s'exclame un vieil homme, sans doute membre de la famille vivant sous ces “barres de fer”.
“Sans cet arbre, nous n’aurions pas d’abri contre le soleil et la pluie”, ajoute-t-il en refusant de dévoiler son nom.
La place des Martyrs de Beyrouth, symbole de libération et de souveraineté en 2005 lors de la révolution du Cèdre et du retrait des troupes syriennes du Liban, et initiatrice de la révolution de 2019, est aujourd’hui dans un état lamentable.
Initialement créée comme espace public dans les années 1860 et rénovée par la municipalité de Beyrouth en 1878 pour devenir le principal lieu de rassemblement de la ville, la place fut renommée en 1931 pour honorer les martyrs exécutés sous la domination ottomane. Elle gagna en popularité dans les années 50 où des cinémas et des cafés l’animaient.
Sous l'emblématique main de la “Thawra” vit désormais une famille de sept personnes, abritée sous une tente de fortune à peine résistante à la moindre brise d’été.
Après la guerre entre Israël et le Hezbollah, des résidents du Liban-Sud et de la banlieue sud de Beyrouth ont fui vers des régions plus sûres. Ceux qui n’avaient pas les moyens de louer un lieu d’hébergement ont trouvé refuge sur cette place de “liberté”, bien qu’ils soient privés de liberté de mouvement et même de parole.
La plupart des personnes déplacées préfèrent taire leur souffrance. Tout ce qu’elles diront, c’est: “Grâce à Dieu, nous sommes encore vivants.”
Interrogé sur l’aide potentielle du gouvernement libanais, un chauffeur de taxi déplacé de 64 ans rit et murmure: “Laissez tomber.”
Sous couvert d'anonymat, il raconte l’histoire d’une femme qui est arrivée dans une voiture de luxe remplie de cartons d’aides alimentaires. Elle baissa la vitre teintée et demanda à un jeune garçon de porter un carton et de sourire pendant qu’elle prenait un selfie avec lui. “Une fois la photo prise, elle reprit la boîte et se hâta de partir”, raconte-t-il.
“Si je revois cette femme ici, je lui crache au visage”, lance un jeune homme à côté du chauffeur.
Les rumeurs circulent sur le fait que la plupart des personnes déplacées sur la place sont de nationalité syrienne, or ce n’est pas le cas. Après avoir discuté avec une douzaine de personnes, aucune n’était syrienne. Elles ont toutes demandé à garder l’anonymat. Même hors enregistrement, elles n’ont révélé que des surnoms.
Autrefois, les résidents de Burj el-Barajneh, Mreijeh et Haret Hreik s’asseyaient sur les marches de la mosquée Mohammed el-Amine, avant qu’une clôture ne soit érigée, limitant l’accès aux vendredis uniquement.
Les habitants de la place disent avoir vu passer de nombreux véhicules chargés de matelas, mais personne n’en a rien reçu gratuitement.
En raison de leur appartenance à des régions instables, les habitants du Liban-Sud sont souvent déracinés, environ tous les 20 ans. Ne pas pouvoir se plaindre de leur situation est une épreuve plus difficile encore que le déplacement. Ils vivent sous le joug d’un gouvernement faible et irresponsable, et de partis plus préoccupés par le maintien de leur base électorale que par le bien-être de la population.
Les visages des déplacés reflètent la tristesse omniprésente sur la place des Martyrs. Cet espace, autrefois symbole de liberté et de d’autodétermination, incarne désormais le deuil, le désespoir et l’attente.
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