Forts de liens culturels anciens, la France et l’Iran ont entretenu des liens difficiles à la suite de l’avènement de la République islamique et de la guerre Iran-Irak. Mais la question du nucléaire va aggraver la rupture entre les deux pays.
Deuxième rupture: la question du nucléaire iranien
Au début des années 2000, l’Iran est soupçonné de mener un programme nucléaire militaire clandestin. La France s’investit pleinement dans le processus des négociations avec l’Iran et cherche à obtenir un accord pour éviter tout programme nucléaire militaire. La relance, en 2005, du programme nucléaire iranien par le président Ahmadinejad entraîne un flot de sanctions occidentales, des États-Unis, de l’ONU et de l’Union européenne. La France, menée par Nicolas Sarkozy, rejoint la position américaine pour les sanctions contre l’Iran, adoptant parfois même des lignes plus dures.
“Nicolas Sarkozy a adopté la vision néoconservatrice américaine qui considère que l’Iran est une menace qu’il faut combattre”, affirme Thierry Coville. Il ajoute: “À partir de 2007, Sarkozy va pousser l’Union européenne à prendre des sanctions contre l’Iran et veut maintenir, contrairement à Obama, une ligne dure à l’égard de Téhéran”.
Les sanctions européennes et américaines vont conduire à un effondrement des recettes pétrolières de l’Iran qui représentaient près de 55% des recettes budgétaires totales du pays en 2011, selon le FMI. De son côté, le secteur automobile français doit globalement cesser ses activités en Iran à cause des sanctions américaines, ce qui diminue considérablement les échanges économiques entre les deux pays.
L’ouverture de la présidence Obama va cependant permettre l’accord de Vienne de 2015, qui allège les sanctions économiques contre l’Iran en échange d’une limitation à un programme nucléaire civil fortement contrôlé. Les États-Unis ont mené les négociations, laissant les Français, très hostiles, sur le côté, une position qui provoquera l’ire des Iraniens. En effet, les Français vont militer pour la mise en place, dans l’accord de 2015, d’un “snap back”, autrement dit un mécanisme qui rétablit automatiquement les sanctions en cas de violations de l’accord par l’Iran.
Néanmoins, les relations commerciales entre les deux pays s’annoncent profitables après 2015. Les entreprises françaises multiplient les accords avec l’Iran, notamment dans le secteur de l’automobile. Mais la sortie des États-Unis de l’accord, en 2018, porte un coup dur aux espoirs français. En effet, la France aurait dû devenir le premier investisseur étranger en Iran, selon le service économique de l’ambassade de France à Téhéran.
A contrario, l’Iran ne représentait qu’1% du commerce de la France avec le Moyen-Orient en 2019, contre 8% l’année précédente. En pleine chute, la France n’est plus que le 4e fournisseur européen de l’Iran. Les Français et les Européens feront tout pour sauvegarder l’accord, mais leur incapacité à le préserver leur fera perdre toute crédibilité aux yeux de l’Iran.
Une rivalité franco-iranienne au Liban
Tous les deux acteurs avec des prétentions d’influence au Moyen-Orient, la France et l’Iran suivent des voies respectives dans la région. Du fait de ses liens historiques, la France a une politique très tournée vers les pays arabes: l’Iran y voit, à tort ou à raison, une politique anti-iranienne.
Téhéran, aidé de ses alliés au Moyen-Orient, est engagé dans un bras de fer avec Israël et les États-Unis, dans lequel la France n’a qu’un rôle mineur. En effet, si elle peut servir d’intermédiaire ou de facilitateur, la France ne rentre pas en directe confrontation avec l’Iran. De même pour Gaza, elle essaie de garder une position plus modérée que les États-Unis qui soutiennent, quoi qu’il arrive, Israël. “On touche là aux limites du fameux ‘en même temps’ du président Macron qui devient dysfonctionnel, car le message de la France peut apparaître comme brouillé”, explique à Ici Beyrouth David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques et spécialiste du Moyen-Orient.
“Il y a donc l'actualisation d'une forme de perte de crédit de l'influence française dans la région. Cela n’est pas lié uniquement à la présidence de l’actuel exécutif. Cela date depuis plusieurs années déjà. À tort ou à raison, la France n’est plus considérée comme un interlocuteur majeur sur la scène internationale malgré son statut de membre du Conseil de sécurité”, ajoute-t-il. L’Iran, de son côté, poursuit sa guerre existentielle avec Israël, et, malgré les appels entre le président iranien et son homologue français, les États-Unis sont aujourd’hui le seul interlocuteur qui compte pour l’Iran, car ce sont eux qui ont la capacité d’être décisifs dans le conflit.
Au Liban, cependant, la France et l’Iran ont été des acteurs actifs et rivaux. “Au Liban, il y a comme un jeu de dupes de part et d’autre. Sur le plan géopolitique, il y a une rivalité entre la France et l’Iran, comme le rappelle tragiquement l’attentat du Drakkar qui avait tué 58 parachutistes français le 23 octobre 1983, attentat attribué à l’Organisation du Jihad islamique, un groupe armé islamiste chiite affilié au Hezbollah, et donc indirectement à l’Iran”, analyse David Rigoulet-Roze. “La France a des liens historiques de longue date avec le Liban, mais c’est aussi le cas de l’Iran, et ce, même avant l’établissement de la République islamique en 1979, car certains clercs chiites libanais ont entretenu des liens intimes avec le chiisme duodécimain iranien”, ajoute-t-il.
Sur le dossier en cours de la présidentielle libanaise, la France et l’Iran, par l’intermédiaire du Hezbollah, ont mené des négociations importantes, une réalité qui a suscité la colère de la frange libanaise anti-Hezbollah. “D'aucuns ont considéré qu'il a pu y avoir au Liban une forme d'ambiguïté française sur les négociations avec le Hezbollah, notamment pour la sélection des candidats à la présidentielle libanaise”, confirme David Rigoulet-Roze, pour qui “cette ambiguïté a été reprochée à la France qui insiste sur la nécessité de voir élu un président, et donc qui aurait accepté d'acter la validation du processus par le Hezbollah”. Mais la guerre avec Israël a stoppé toute perspective d’élire un président.
Selon David Rigoulet-Roze, “la France n'est, en tout état de cause, pas en mesure de peser sur la situation. De son côté, Téhéran semble envisager – via le nouveau chef du Hezbollah, Cheikh Naïm Qassem – la possibilité d'un cessez-le-feu. Mais ce n'est pas Téhéran qui pourra en fixer les conditions, qui seront déterminées par Israël”. “Il peut y avoir en apparence, même si c'est pour des raisons résolument différentes, une convergence entre la France et l’Iran pour arrêter la guerre au Liban, mais la France, à elle-seule, n'est certainement pas en mesure d'y parvenir, et c’est Israël qui décidera de la fin de la guerre, avec le soutien des Américains”, conclut-il.
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