La banlieue sud de Beyrouth est régulièrement bombardée. Une fumée noire, asphyxiante, enveloppe presque en permanence le secteur.
Depuis septembre, l’armée israélienne mène sans relâche des raids sur plusieurs secteurs du Liban, dont la banlieue sud de Beyrouth. D’épaisses colonnes de fumée se dégagent en permanence des zones frappées. Ce que les Libanais respirent depuis septembre, c’est un mélange d’oxygène et de matières toxiques qui restent à déterminer. Cette pollution, accentuée par l'utilisation massive de générateurs, met en danger la santé des Libanais.
Manal vit à Aïn el-Remmaneh, dans la banlieue sud-est de Beyrouth, à quelques encablures des quartiers soumis à des frappes devenues quotidiennes depuis quelques jours. Elle sent la fumée chaque fois qu’elle ouvre ses fenêtres le matin. Cette fumée a gravement affecté sa santé.
“J’ai consulté un pneumologue trois fois au cours des trois dernières semaines parce que je n’arrête pas de tousser”, raconte-t-elle à Ici Beyrouth.
À Manal, qui souffre d’allergies, on a diagnostiqué une inflammation aiguë des voies respiratoires en raison de l’inhalation fréquente de fumée.
“Nous devons garder les fenêtres ouvertes en permanence en cas de raids proches, se plaint-elle. Nous ne les fermons que pour les rouvrir immédiatement quand des avertissements sont adressés aux habitants de la banlieue sud”.
Ses allergies se sont récemment aggravées lorsqu'elle a inspecté la propriété endommagée de ses proches, à Chiyah, après un raid.
Manal ne porte pas de masque à l'intérieur, contrairement à ce que lui ont conseillé les médecins, expliquant qu’elle ne le supporte pas et qu’elle “s’est habituée à l’air chargé de fumée”.
Le 8 octobre, les avions de guerre israéliens ont mené 14 raids sur la banlieue sud de Beyrouth, provoquant des cas d’asphyxie parmi les habitants, alors que de mauvaises odeurs émanaient des sites bombardés.
L’armée israélienne aurait utilisé du phosphore blanc, qui peut causer de graves problèmes de santé en cas d’inhalation. Des rumeurs ont fait également état d’une possible utilisation d’uranium par l’armée israélienne, hypothèse écartée par des experts.
Les polluants et leurs effets
Pour comprendre les conséquences de l'inhalation de ces substances chimiques sur la santé, Ici Beyrouth s'est entretenu avec Dr Céline Baaklini, cheffe de l'unité de soins intensifs pulmonaires au Bellevue Medical Center (BMC).
“À court terme, les symptômes liés à l'inhalation de fumée comprennent des réactions allergiques cutanées telles que des éruptions, une hyperréactivité bronchique, de l'asphyxie, de la dyspnée (difficulté à respirer), des infections respiratoires et des rougeurs oculaires”, a déclaré Dr Baaklini.
Elle explique que les risques, à long terme, de développer un cancer, une bronchite chronique, une insuffisance respiratoire chronique et une dépendance à l'oxygène sont plus élevés pour les personnes exposées à la fumée.
L'inhalation d'uranium est notamment liée à la leucémie (cancer du sang), parmi d'autres cancers. L'inhalation de phosphore blanc peut provoquer une maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), une affection pulmonaire chronique causée par des dommages aux poumons, ainsi que des crises d'asthme.
Le phosphore blanc est un composé hautement réactif qui s'enflamme instantanément lorsqu'il est exposé à l'air et brûle à des températures extrêmement élevées, tandis que l'uranium est un composant essentiel utilisé dans la production de combustible nucléaire pour les réacteurs du monde entier.
Les personnes souffrant de maladies chroniques, de MPOC et d'asthme sont les plus touchées par ces polluants. Les crises de MPOC et d'asthme peuvent provoquer une asphyxie et être fatales.
Bien qu'aucune étude pertinente ne soit disponible sur les particules qui existent dans l’air actuellement, les médecins constatent que les niveaux d'asthme et de maladies pulmonaires à Beyrouth ont considérablement augmenté durant les quatre dernières années en raison de la combustion des déchets et de l'utilisation des générateurs. Cela se manifeste par l'augmentation du nombre de patients traités pour des maladies pulmonaires ces dernières années.
“Le nombre de patients souffrant de maladies pulmonaires a augmenté de 40 à 50% à travers le Liban”, a déclaré Dr Baaklini.
Particules fines et pluie
La pollution par les particules fines provenant de sources extérieures comprend les gaz d'échappement des véhicules, la combustion de bois, de gaz, d'autres combustibles et les incendies. Lorsqu'elles sont inhalées, ces particules peuvent causer des problèmes de santé. À Beyrouth, les générateurs sont les principaux responsables de la pollution particulaire, avec environ 8.000 générateurs diesel alimentant la capitale depuis l'effondrement économique de 2019.
Selon des recherches récentes menées par l'Université américaine de Beyrouth, le niveau moyen annuel de pollution par les particules fines – particules de 2,5 micromètres ou moins – à Beyrouth est de 17,2 microgrammes par mètre cube, soit plus de trois fois supérieure à la limite recommandée par l'Organisation mondiale de la santé, qui est de 5 microgrammes par mètre cube.
Ces particules, aggravées par les raids constants sur Beyrouth, tomberont lors des pluies. “Elles toucheront nos cheveux, nos vêtements, notre nourriture, ce qui augmente les risques pour la santé”, explique Dr Baaklini.
Les régions mal ventilées, en particulier les quartiers urbains densément peuplés, sont les plus vulnérables, car la pollution par les particules extérieures est plus élevée lors des journées sans vent ou sans circulation de l'air.
Mesures préventives
Pour réduire les risques sanitaires liés à l'inhalation de polluants, Dr Rida Safieddine, pneumologue au BMC, recommande les précautions suivantes:
1. Quitter les zones affectées pour éviter l'exposition.
2. Rester à l'intérieur pendant au moins 24 heures après un raid.
3. Porter des masques N95 pour éviter d'inhaler la poussière, en particulier dans les zones polluées.
4. Prendre une douche après avoir visité des zones touchées.
5. Porter des gants lors de la manipulation de matériaux dans les zones affectées.
6. Éviter de visiter les zones bombardées, sauf en cas de nécessité. Le temps passé dans ces zones devrait être limité, surtout pour les personnes ayant des problèmes respiratoires.
7. Humidifier les matériaux dans les zones affectées avant de les toucher.
8. Fermer les fenêtres et les couvrir de rideaux pour réduire la poussière.
Le Dr Safieddine met également en garde contre les risques liés à l'automédication: “Augmenter les doses de bronchodilatateurs peut provoquer de l'agitation et de l'anxiété, et augmenter les risques de tachycardie”, a-t-il ajouté, conseillant à tous les patients de consulter un médecin avant la prise de tout médicament.
Alors que le ciel de Beyrouth se couvre de fumée, la ville se trouve au bord d'une catastrophe sanitaire silencieuse. Combien de temps les Libanais pourront-ils retenir leur souffle?
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