À l’heure de la visite du chef de l’AIEA en Iran et du retour à la Maison Blanche de Donald Trump, voici ce qu’il faut connaître sur le programme nucléaire iranien et l’éphémère accord de Vienne le concernant, signé en 2015.
Dans la soirée de mercredi, le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, atterrissait à Téhéran pour des discussions sur le programme nucléaire de l'Iran.
Sa visite, qui s’étale sur plusieurs jours, ne doit rien au hasard. Car le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, début 2025, rend futile tout espoir d’un retour des parties à la table des négociations. Au contraire, la nomination de Marc Rubio au poste de secrétaire d’État le jour même, partisan d’une ligne dure contre Téhéran, présage des tensions exacerbées dans les mois à venir.
Face à ces sombres perspectives, le voyage de M. Grossi prend l’allure d’une dernière carte à jouer pour la diplomatie. Dans une entrevue jeudi avec le président iranien Massoud Pezeshkian, il a insisté sur le fait que la coopération de l'Iran serait le seul moyen d’"éviter la guerre".
Dans tous les cas, il paraît désormais impossible d’arracher un nouvel accord pour le nucléaire iranien dans la situation actuelle. Tandis que le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA, pour "Plan d'action global commun"), le précédent accord signé sous l’administration Obama et dont M. Trump en était sorti deux ans plus tard, semble désormais bien enterré.
Le contexte de ce fameux accord repose sur des décennies de tensions autour du programme nucléaire iranien, perçu par les pays occidentaux et leurs alliés au Moyen-Orient comme une menace. Au début des années 2000, le monde découvre que Téhéran, pourtant signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), poursuit clandestinement des activités d'enrichissement d'uranium.
Enrichir l’uranium
Pour rappel, ce processus consiste à augmenter la proportion d’un des composants de ce matériau, l’uranium-235, capable de produire de l’énergie. L’uranium naturel en contient très peu et nécessite d’être "concentré" pour devenir “utile”. Dans ce but, l’uranium est transformé en gaz, puis placé dans des centrifugeuses qui permettent de parvenir à ce résultat.
Lorsque le taux atteint entre 3 et 5%, le produit obtenu peut être utilisé dans les centrales nucléaires, pour produire de l'électricité. Entre 10 et 20%, celui-ci peut aussi avoir un usage médical, qu’il s’agisse de radiothérapie ou d’imagerie, ou encore servir dans le cadre de la recherche nucléaire.
En revanche, au-delà de 20%, l’uranium est classé comme hautement enrichi, tandis que ses usages sont considérés comme potentiellement sensibles. Et à hauteur de 90%, il peut être utilisé pour fabriquer des armes nucléaires.
Si l’Iran n’a de cesse de justifier ces efforts par des besoins énergétiques et médicaux, les Occidentaux et Israël ont exprimé des inquiétudes croissantes quant aux réelles intentions de son programme. Tandis qu’une enquête menée par l’AIEA établissait que le régime de Téhéran ne remplissait aucune obligation du TNP, des sanctions économiques sévères ont été imposées par les Nations unies, les États-Unis et l'Union européenne, à partir de 2006.
Joint Comprehensive Plan of Action
Celles-ci frappent alors durement l'économie iranienne, notamment ses exportations de pétrole, tandis que les tensions géopolitiques s’accroissent dans la région. Mais Téhéran continue ses activités. En 2015, avant la signature du JCPOA, l’AIEA estimait que le pays était en possession d’environ 200kg d’uranium enrichi à 20%, ainsi que près de 19.000 centrifugeuses.
C’est dans ce climat délétère que des pourparlers débutent en 2013, sous l’égide de l’administration Obama et dans le courant de l’élection du président iranien Hassan Rohani, perçu comme modéré. Pour la Maison Blanche, il s’agit d’une opportunité en termes de désescalade et de prévention de la prolifération nucléaire, tandis que Téhéran souhaite un allègement des sanctions.
Les négociations ont été menées par l'Iran et le groupe dit des "5+1". Derrière ce nom se cachent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni), auxquels s’ajoute l’Allemagne. L’Union européenne joua aussi un rôle clé dans les discussions.
Le dialogue entre les différentes parties aboutit à l'accord du JCPOA en 2015. L’Iran y accepte de réduire drastiquement ses capacités nucléaires, en limitant l’enrichissement d’uranium à 3,65%, en réduisant son stock de matière enrichie, ainsi qu’en diminuant le nombre de centrifugeuses en sa possession.
En contrepartie, les sanctions qui paralysaient l'économie iranienne devaient être progressivement levées, permettant une relance des exportations de pétrole et un retour partiel de l’Iran sur les marchés financiers mondiaux. L'AIEA a été chargée de surveiller les sites nucléaires iraniens pour garantir le respect des engagements pris.
Un accord éphémère
Si le JCPOA a été globalement vu comme une avancée diplomatique majeure, il comptait aussi de nombreux détracteurs. C’est le cas des deux adversaires géopolitiques régionaux de l’Iran, Israël et l’Arabie saoudite… et surtout de la nouvelle administration américaine menée par Donald Trump. Gagnant de l’élection présidentielle de 2016, celui-ci, partisan d’une politique de pression maximale sur Téhéran, voit alors d’un très mauvais œil cet accord.
Il annonce donc le retrait unilatéral des États-Unis deux ans plus tard, arguant que ce document était insuffisant pour contenir les ambitions nucléaires et régionales de l'Iran. Les États-Unis réimposent ainsi de sévères sanctions économiques contre Téhéran qui, de son côté, reprend progressivement ses activités, au mépris des limites fixées par le JCPOA.
Élue en 2020, l’administration Biden entreprend toutefois de ressusciter l’accord en adoptant une approche diplomatique pragmatique. Dès 2021, des négociations indirectes sont engagées à Vienne, sous l’égide de l’UE. Dans un esprit de compromis, les États-Unis allègent certaines sanctions humanitaires, tout en maintenant les restrictions économiques majeures.
Tensions accrues
Mais les négociations sur ce point n’ont jamais réellement avancé. La même année, le candidat ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, remporte l’élection présidentielle iranienne. Fin 2023, l’AIEA confirme que Téhéran produit désormais, en moyenne, 9kg d’uranium enrichi à 60% par mois, tout en ayant drastiquement réduit les inspections des sites nucléaires iraniens depuis 2021. Des caméras de surveillance avaient été débranchées et l'accréditation d'un groupe d'experts avait été retirée.
En parallèle, le début de la guerre Israël-Hamas accroît davantage les tensions avec Washington. Jusqu’à présent, les passes d’armes directes entre Israël et Téhéran sont restées "relativement" contenues.
Mais les récentes déclarations du nouveau ministre israélien de la Défense, Israël Katz, affirmant lundi que les sites nucléaires iraniens étaient plus vulnérables que jamais, rappellent le caractère hautement volatile du sujet. De son côté, l’Iran considère toute attaque contre ces installations comme une ligne rouge.
Dans ce cadre, la nouvelle administration Trump laisse présager une fuite en avant, avec davantage de liberté d’action laissée à l’État hébreu que sous la précédente. À moins qu’elle ne choisisse finalement la voie de l’apaisement. Jeudi, le New York Times dévoilait qu’une rencontre avait eu lieu entre Elon Musk, membre de la nouvelle administration américaine, et l'ambassadeur d’Iran à l'ONU, Amir Saied, pour "apaiser les tensions". Avec l’espoir d’un retour sur le chemin de la diplomatie, cher à M. Grossi.
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