À Marjeyoun, la plupart des maisons ont fermé leurs volets et les commerces ont tiré leurs rideaux de fer. De très rares voitures traversent la ville devenue fantôme. Ses 15.000 habitants ont pour la plupart fui les bombardements qui se sont étendus aux habitations et aux quartiers à la lisière de la ville.
Cependant, leur calvaire ne s’est pas arrêté là. Parmi les ruines et les décombres, des ombres furtives rôdent, s’attaquant aux maisons abandonnées et aux terrains agricoles. “Des voleurs sans scrupules, insensibles à la détresse des habitants déplacés, ont vu dans cette désolation une opportunité”, fulmine un septuagénaire, victime d’un cambriolage.
De plus en plus de demeures sont dévalisées, quand elles ne sont pas occupées par des étrangers, et les récoltes dérobées, entraînant des pertes financières supplémentaires pour les habitants. Un phénomène qui ne se limite pas à Marjeyoun, et qui touche hélas plusieurs localités ciblées régulièrement par les raids et les bombardements israéliens. À Nabatiyé, il y a deux jours, les forces de l’ordre ont arrêté une bande de voleurs qui avaient mis à sac des appartements abandonnés par leurs propriétaires. À Marjeyoun, le manque d’effectifs au poste de gendarmerie et à la municipalité de la ville rend difficile une traque des pillards.
Un fléau en expansion
“La situation est calamiteuse”, s’attriste Abou Fadi qui a refusé de quitter son village. “J’ai été obligé de partir avec ma famille, puis notre voisin a découvert que notre maison était occupée par des inconnus. Non seulement nous avons perdu notre foyer, mais nos champs ont été ravagés. Les intrusions continuent et personne ne semble se soucier de notre situation”, confirme pour sa part Assad.
Les propriétés sont occupées sans le consentement ni des voisins présents ni de la municipalité, sous prétexte de raisons de sécurité ou de stratégie militaire, ce qui les expose au risque d’être détruites, si l’occupant est membre du Hezbollah, comme cela s’était produit à Nabatiyé et probablement ailleurs. À Nabatiyé, un médecin est parti avec sa famille pour s’installer au Mont-Liban et sa villa a été occupée par un membre du Hezbollah et sa famille. Elle a été ciblée et détruite dans un raid, l’armée israélienne continuant de traquer les cadres et les éléments du Hezb.
Cette situation a ajouté au sentiment d’anxiété et de peur parmi les habitants de Marjeyoun, impuissants face à une violation flagrante du droit à la propriété, alors qu’ils doivent également gérer les affres du déplacement.
Les cas de vols ont surtout augmenté avec le retour dans la ville des migrants syriens qui l’avaient fuie lorsqu'Israël avait lancé, en septembre, son offensive contre le Hezbollah, et qui ont été parfois pris la main dans le sac. Leur retour et leurs agissements ont exacerbé les tensions avec les résidents. “Nous avons toujours considéré que notre quartier était sûr, mais depuis quelques mois, les cambriolages se multiplient”, confie un habitant qui a requis l’anonymat, visiblement inquiet pour la sécurité de sa famille.
“Tous mes objets de valeur, mes héritages familiaux, ont disparu. Je ne sais pas qui a pu faire cela, mais je l’ai ressenti comme un viol”, confie Mira, une déplacée de Marjeyoun.
Tous les jours, les cambriolages engendrent leur lot de victimes. “On ressent cette intrusion comme un viol. Savoir que quelqu’un est entré chez vous en votre absence et a disposé à sa guise de votre maison est particulièrement difficile à supporter”, lâche à son tour Thérèse, dont la maison a été pillée. “Ils ont tout fouillé, tout retourné”, ajoute-t-elle, encore sous le choc. Ce cambriolage, son mari l’a découvert à son retour dans leur demeure pour récupérer quelques affaires: “Les malfaiteurs avaient défoncé la porte et l’avaient laissée grande ouverte. Nos effets étaient dispersés, un vrai bazar”.
Récoltes dérobées
Les champs d’avocats et les oliveraies sont aussi la cible de vols perpétrés par des Syriens opportunistes qui profitent de l’absence des habitants, selon les témoignages de ceux qui sont restés sur place. “Notre champ d’avocats qui compte de nombreux arbres a été dépouillé de ses précieux fruits. Les terres ont été dévastées et des familles privées de leurs moyens de subsistance. Je ressens une profonde douleur. Mon travail acharné et mes efforts pour cultiver et entretenir mon champ et mes oliveraies ont été anéantis en un instant par des voleurs sans scrupules. Cette perte représente bien plus qu’une privation matérielle: c’est un déchirement de l’âme et un affront à l’identité de la région”, explose Chadi, qui poursuit: “J’étais retourné pour inspecter mon verger, mais j’ai dû repartir en vitesse. Tout était désert… c’était effrayant. La saison entière est fichue”.
L’absence de représentants des autorités a sans doute encouragé les pillards à poursuivre leurs méfaits, en dépit des mises en garde régulières adressées par le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichai Adraee, aux habitants de la bande frontière. Ce dernier les a avertis à maintes reprises, depuis que la saison de la cueillette des olives a commencé, qu’ils mettaient leur vie en danger en se rendant dans leurs champs.
Récemment, un habitant de Hebbariyeh, non loin de Marjeyoun, a été tué dans un raid qui a visé son oliveraie.
“La guerre m’a ruiné. Je passe mon temps devant la télé dans l’espoir d’une information sur un prochain cessez-le-feu pour pouvoir retourner à mon gagne-pain. J’ai connu des guerres, mais ça n’a jamais été aussi grave”, déplore un père de famille, venu en dépit du danger pour “sauver” sa récolte d’avocats, habituellement très lucrative, car principalement destinée à l’exportation.
Un État aux abonnés absents
“Nous avons travaillé dur pour construire notre maison et cultiver notre terre. Tout a été volé et occupé par des intrus. L’État ne nous aide pas, nous nous sentons abandonnés. Nous avons besoin de protection, mais les gendarmes et les membres de la municipalité ne réagissent pas”, déplore Farid, un résident dont la maison a été cambriolée.
L’absence de soutien de la municipalité et de l’État face à ce fléau exacerbe la détresse des populations résidentes et déplacées déjà éprouvées par la guerre.
Les municipalités ont des ressources limitées et sont parfois paralysées à cause d’une absence de leadership.
“Nous ne sommes peut-être pas en mesure d’assurer la sécurité des résidents de Marjeyoun, mais nous faisons tout notre possible pour protéger les maisons abandonnées”, déclare Anis Abla, membre de la municipalité et chef de la Défense civile de Marjeyoun.
Très peu de gendarmes sont restés dans le poste de la ville. “Nous faisons de notre mieux, mais nous manquons de fonds et de personnel. Nous avons besoin d’une aide plus significative de l’État”, confirme un gendarme.
L’autodéfense est vite devenue une option incontournable. Des jeunes de Marjeyoun et de Qlayaa ont mis en place des patrouilles de sécurité, mais eux-aussi manquent de ressources et de soutien. Sans l’intervention rapide des autorités municipales et étatiques de la région, le cycle de l’insécurité continuera de se perpétuer, menaçant l’avenir de toute une région. “Il faut absolument négocier un cessez-le-feu pour que les gens puissent rentrer chez eux le plus rapidement possible”, insiste un résident de la région.
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