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Revoir Paris est un film d’Alice Winocour, réalisatrice et scénariste française titulaire d'une maîtrise en droit pénal. Réalisé en 2021 avec Virginie Efira et Benoît Magimel, le film est présenté  en 2022 à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, et à Toronto, en séance de gala.

À Paris, Mia est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se souvient de l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible.

Le film évolue à la lumière d’une trame dramaturgique tissée dans la psychologie des personnages, au son d’une musique évolutive qui fait écho à la confusion intérieure et relationnelle de la femme.

Revoir Paris, de par son titre, capte le spectateur dans une ville magique où les lumières floues de la nuit, les brasseries cosmopolites, la pluie même incommodante, tout est raison d’y vivre… et pourtant, durant tout le film, c’est la mort que l’on côtoie. La mort, à laquelle une femme échappe de justesse, et puis l’après. L’après de la survie, du traumatisme, de la résilience, de l’enquête en vue de retrouver au moins la mémoire… et les mots du corps.

Tout le film tourne autour de cet instant T. Cet instant qui partage la vie d’un être en deux. Deux laps de temps aux différences irréconciliables. L’être d’avant et le non-être d’après.

Mia, traductrice, vit déjà cette ubiquité entre deux langues, deux cultures, comme si elle était une personne dans la tête de l’autre pour faire parvenir la voix de cet autre et ses pensées… Elle devra par la suite devenir sa propre traductrice et s’interpréter elle-même en mode post-traumatisme pour toucher du doigt la cicatrice, la plaie, raviver la mémoire et remonter à l’instant T, jusqu’aux maux, afin de retrouver les mots… «Mais pourquoi tu ne me parles pas?»

L’essentiel demeure de survivre à la mort où «je l’ai vu, le tireur… il avait le visage d’un ange… on aurait dit quelqu’un qui serait allé acheter des cigarettes…» Comme si. Comme si toutes les morts causées consciemment étaient anodines. Elles le sont, quelque part. Il suffit d’avoir fait un choix. Un choix quelconque, le temps d’un seul instant. Il suffit d’être à la même heure, au mauvais endroit. Serait-on alors allé, volontairement, vers son sort? Qu’en est-il des personnes qui y ont contribué? Mis à part les preneurs de vie au sang déjà froid, qu’en est-il de ce partenaire médecin par exemple dans le film qui s’excuse de ne pas pouvoir rester à dîner parce que... «une urgence». C’est cette urgence même qui s’avère ne pas en avoir été «une» qui a mis la vie de la femme de sa vie en danger… Comment pourrait-il lui-même vivre cet après? Reste-t-on seulement entier après une trahison? Que serait-ce si elle allait ôter la vie à l’être aimé? Comment tuer la culpabilité?

Ceux qui ont regardé la peur dans les yeux, ceux qui ont été unis devant la mort deviennent frères de sang ou éternels amants en quête d’une peau… une peau à embrasser, embraser, faire revivre sous l’écorce des jours lourds, envelopper, cicatriser à force de caresses et de secrets partagés, à fleur de peau.


Mia est en quête de ces êtres dont le regard a rencontré le sien, dont les mains ont tenu les siennes, dont le souffle l’a gardée en vie… Le personnage de Mia porte en lui tous les traumatismes de la mort, que ce soit au Bataclan, dans une brasserie en plein Paris «métro, boulot, dodo», ou dans un petit pays méditerranéen de 10.452 kilomètres carrés à la plaie ouverte d’un 4 août, ou encore au fin fond des accusés à tort, des haracelés au quotidien, des battus, des survivants de violences physiques ou verbales, de ceux qui sont restés alors que les leurs s’en sont allés à jamais…

Au-delà de l’événement traumatisant, quel qu’il soit, les mêmes séquelles animent les survivants, les mêmes traces, les mêmes cicatrices intérieures… S’en sort-on jamais? Ou apprend-t-on à «vivre avec»? Autant de questions et de remises en question auxquelles Alice Winocour, pour qui «le cinéma est le langage du traumatisme», essaie de trouver des réponses, dans le parcours d’une écorchée vive de la vie, afin de «conjurer le sort».

L’essentiel demeure de se rendre compte de la seule évidence: «On est vivant.»

En guise de conclusion, sur grand écran, deux mots, une dédicace: «À Jérémie.»

Jérémie, le frère d’Alice Winocour, est un rescapé du 13 novembre 2015 au Bataclan.

Marie-Christine Tayah

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