En l’absence d’un “deal” irano-israélo-américain, toute feuille de route pour un cessez-le-feu au Liban semble être vouée à l’échec. Quid d’une proposition qui, dans le fond et dans la forme, n’apporte aucun changement (étant similaire à la précédente) et pour laquelle chacune des parties continue d’émettre des réserves? Selon diverses sources médiatiques, l’émissaire américain Amos Hochstein devait se rendre mardi à Beyrouth. En tout état de cause, si l’émissaire américain n’a toujours pas baissé les bras, son éventuelle visite au Liban et en Israël risque de se solder, comme à l’accoutumée, par une débâcle diplomatique, à l’heure où les tensions entre le Hezbollah et Israël ont atteint de nouveaux sommets ces dernières semaines.
Après plusieurs échanges de frappes aériennes, de tirs de roquettes et d'affrontements au sol, la situation au Liban et en Israël devient de plus en plus précaire. Ce climat de guerre a exacerbé les souffrances des populations civiles des deux côtés de la frontière et menace de se transformer en un conflit régional plus large. C’est dans ce contexte qu’Amos Hochstein est attendu à Beyrouth et à Tel Aviv pour proposer une nouvelle feuille de route visant à instaurer un cessez-le-feu durable. En quoi consiste-t-elle et à quoi les parties prenantes s’opposent-elles?
Les enjeux majeurs de la proposition américaine
Décliné en 13 points, ce plan a pour priorité de parvenir à une cessation immédiate des combats entre Israël et le Hezbollah. Cela inclut la suspension de tous les tirs de roquettes et des attaques aériennes et terrestres. Pour garantir l’efficacité de cet accord, un mécanisme de surveillance serait mis en place, avec des observateurs internationaux supervisant le respect des engagements de part et d’autre de la frontière. Ce cessez-le-feu serait ainsi basé sur une réciprocité: Israël suspend ses frappes en échange notamment d’un désarmement du Hezbollah et de son retrait au-delà du fleuve Litani.
Or, bien qu’il ait pour objectif de désamorcer les tensions et d’éviter une escalade de la violence, ce plan ne fait pas l’unanimité, certains des éléments qu’il comporte demeurant largement contestés par les belligérants.
Pour Israël, un des enjeux majeurs au lendemain de la guerre consiste à vouloir contrôler des zones “sensibles” au Liban et d'empêcher le Hezbollah de se réarmer ou de mener des attaques. Cette exigence, actuellement au cœur des négociations, est contestée par la partie libanaise qui y dénonce une atteinte à la souveraineté du pays. De quoi s’agit-il? La “liberté de mouvement” que réclame Israël repose sur plusieurs principes fondamentaux liés à la surveillance, la gestion et le contrôle des zones frontalières avec le Liban. Concrètement, cela signifie que l'État hébreu souhaite pouvoir mener des opérations de surveillance et d'interception dans des zones proches de la frontière, sans restrictions imposées par le Liban ou des acteurs tiers. Les principales composantes de cette demande sont donc:
- L'accès aux régions frontalières pour empêcher les infiltrations et les contrebandes d'armement: Israël réclame le droit de surveiller et d'intervenir dans les zones frontalières proches de la Ligne bleue afin de prévenir l'entrée illégale d'armements et de munitions destinés au Hezbollah. Il considère que pour assurer sa sécurité, il doit pouvoir intercepter toute tentative de réapprovisionnement militaire du Hezbollah, ce qui inclut la surveillance des frontières et la possibilité d'actions préventives en cas de menace.
- Droits d'actions militaires en cas de violation: pour Israël, la liberté de mouvement implique également le droit de mener des actions militaires ciblées en cas de violations des accords ou d'activités suspectes. Cela inclut des frappes aériennes préventives, des opérations de déminage ou des interventions pour détruire des installations de stockage d'armements du Hezbollah situées près de la frontière. En réponse aux attaques ou aux mouvements du Hezbollah, Israël réclame le droit d'agir sans attendre l'approbation de la communauté internationale ou de l'armée libanaise, que Tel Aviv estime incapable de freiner de telles activités.
Au refus du Hezbollah de toute idée de désarmement (la formation considérant ses armes comme un moyen de défendre le Liban contre Israël), s’ajoute la position libanaise selon laquelle la question du désarmement du Hezbollah doit être résolue au sein du pays, et non imposée par des acteurs extérieurs.
Une autre question qui se pose est celle du rôle du comité de surveillance de Naqoura, créé au lendemain de l’opération israélienne “Raisins de la colère” contre le Liban en 1996, pour s’assurer que le Hezbollah et Israël respectent leurs engagements en matière de cessez-le-feu et d’arrêt de tout acte d’agression. “Y a-t-il une capacité à élargir les prérogatives de ce comité, sans avoir recours à de nouvelles résolutions?”, s’interroge-t-on de source diplomatique. Pour contextualiser l’affaire, il convient de noter que la feuille de route actuelle inclurait la demande d’ajout de nouveaux membres (des officiers de plusieurs nationalités, principalement américains et français…) à ce comité de supervision (formé d’un officier de l’armée libanaise, d’un des forces israéliennes et d’un de la Force intérimaire des Nations unies au Liban), ce qui a suscité une vive controverse. Les problématiques qui en découlent, selon cette même source, seraient les suivantes: “Quels seraient les nouveaux pays appelés à être représentés au sein de ce comité? Seraient-ils tous considérés comme acceptables par les parties belligérantes? Devrions-nous recourir au Conseil de sécurité pour ce faire, ou pourrions-nous nous limiter aux procédures de la résolution 1701, considérée par la partie libanaise comme un objectif satisfaisant?”
Le principal argument en faveur de l’ajout de nouveaux membres au comité repose sur plusieurs points, dont notamment le renforcement des activités d’observation et de la transparence, de sorte que cette mesure permettrait de garantir une surveillance plus complète et impartiale des activités sur le terrain, notamment des mouvements militaires du Hezbollah et des actions militaires israéliennes dans la région. En outre, un comité plus élargi pourrait offrir plus de ressources humaines et logistiques pour surveiller les zones sensibles, détecter les violations et faciliter une réaction rapide en cas de crise. Cependant, cette proposition a été largement contestée par la partie libanaise surtout, qui considère que l’augmentation du nombre d’acteurs internationaux impliqués dans la surveillance de la frontière pourrait être perçue comme une violation de sa souveraineté. Une autre crainte est que de nouveaux membres puissent faire preuve de partialité et favoriser les intérêts d’Israël ou d’autres puissances extérieures, ce qui déstabiliserait davantage la situation interne du pays.
La proposition américaine se concrétisera-t-elle?
Se prononçant à ce sujet à la veille de l’arrivée d’Amos Hochstein au Liban, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a signalé que le Liban est “déterminé à mettre en œuvre la résolution 1701”, espérant parvenir à un cessez-le-feu le plus rapidement possible et à mettre fin à toutes les destructions et pertes humaines dans le pays. Il a, dans ce contexte, nié avoir été informé de toute condition liée à la liberté de mouvement israélienne au Liban. Par ailleurs, et selon la chaîne 12 israélienne, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, aurait écarté la possibilité que l’accord avec le Liban soit applicable sur le terrain, exigeant la liberté d’action israélienne sur le territoire libanais et l’interdiction du transfert d’armes depuis la Syrie.
“Le plan actuel est très similaire à celui proposé en novembre 2023; il repose principalement sur la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies”, indique-t-on de source diplomatique. “Or, le problème se situe au niveau des mécanismes de mise en place de la 1701 et, étant donné les prises de position des deux parties prenantes, surtout celle du Premier ministre israélien, on n’est pas à l’abri d’un revirement de dernière minute”, signale-t-on de même source. “Même si l’on sait que la situation a bien évolué depuis novembre dernier, nous ne pouvons pas nous permettre de tomber dans un excès d’optimisme”, poursuit-on.
Même son de cloche du côté d’un expert proche du dossier: “Il est difficile d’entrevoir aujourd’hui une porte de sortie à la crise actuelle au Moyen-Orient, tant que les États-Unis, l’Iran et Israël ne se sont pas entendus sur un ‘arrangement’ qui convienne à leurs intérêts dans la région”. D’après lui, “nous ne pouvons espérer un règlement du conflit avant janvier 2025 (date de l’investiture du président américain Donald Trump, ndlr)” et “nous devons nous attendre à une montée des tensions dans les semaines à venir”.
Aujourd’hui, l’approche avancée par la feuille de route se heurte à une série d’obstacles politiques, militaires et diplomatiques qui rendent la mise en œuvre de ces exigences particulièrement complexe. Dans le même temps, le Liban, tout en étant pris entre le marteau israélien et l'enclume du Hezbollah, cherche à préserver sa souveraineté et sa stabilité interne. La solution à ce dilemme dépendra de la capacité de la communauté internationale à concilier les exigences sécuritaires d'Israël avec les impératifs de souveraineté et de paix au Liban.
Commentaires