Liban, ce mal-aimé
©Ici Beyrouth

En “bons” Libanais, nous fêtons notre indépendance dans le désordre et sous les bombes. Il y aurait tout un livre à écrire sur la manière dont nous sommes devenus libanais, après avoir été un peu de tout. Je pourrais dire moi-même comment j’ai retrouvé ma mémoire et mon identité, pour reprendre le beau titre d’un livre peu connu de Jean-Paul II, comment j’ai cessé d’appeler “événements” la guerre civile, comment j’ai appris à faire la différence entre ce qui est bon et noble, et ce qui est laid et ignoble, et finalement comment j’ai transféré sur le Liban mon amour de Dieu.

En cela, je me suis trouvé en profonde communion avec le patriarche Hoayek, l’homme qui a négocié et dessiné avec Georges Clémenceau les contours du Liban où nous vivons. Le patriarche Hoayek était profondément imprégné de la culture des papes catholiques et cela éclate dans la Lettre apostolique qu’il a adressée aux Libanais, en 1930, et dont l’intitulé est tout un programme: “L’amour de la patrie”. Il y affirme justement que notre amour pour le Liban est inféré de notre amour pour Dieu, qu’il doit être loyal, intègre, fidèle, désintéressé, généreux, que nous devons aimer la générosité de sol du Liban et vivre pour le bien commun. Il s’adresse évidemment aux catholiques du Liban, mais à aucun moment il ne fait de distinction entre un Libanais et l’autre. Au contraire, il est très sévère à l’égard des “grands”: la moitié de sa lettre apostolique porte sur la justice distributive, soit la répartition des honneurs, richesses ou avantages selon le mérite ou les besoins, dans une société donnée.

On cherchera en vain, sur Internet, à retrouver cette lettre. Je dois sa lecture au recteur de l’Université Saint-Joseph, Salim Daccache s.j., qui me l’a adressée… en fac-simile. Personne n’a encore pris le temps de la taper, de la traduire, de la commenter et de nous l’apprendre. Il n’y a dans nulle université une chaire Patriarche Hoayek. Notre passé n’existe pas ou il est enfoui dans des ouvrages introuvables, au fond des bibliothèques aussi fourrées que des jungles. Il semble que nous sommes un peuple amnésique qui n’a d’autre histoire que celle qu’il glane sur les chaînes de télévision et qu’il reconstitue, par bouts, au fil des discours et des opérettes. Et c’est pourquoi, pour nous identifier, nous empruntons souvent d’autres récits historiques que le nôtre.

Le patriarche Hoayek a donné à chaque Libanais un cadeau inestimable: une patrie, une vraie, pas un “Conte et Légendes du Liban”, encore que le Liban est lourd d’histoire et fourmille de légendes.

Connaissez-vous l’histoire de Sabét? Sabét (contraction arabe d’Élizabeth) était l’originale de mon village, Michmich, la vieille fille folle, celle qui errait dans le village et dormait dans les cavités des grands chênes, au bord de la route. Sabèt avait perdu la raison quand, à la veille de son mariage, elle s’était aperçue que ses bijoux, qu’elle gardait pour ce grand jour, avaient été volés. Cette déchirure fut irréparable. Cela donna Sabét, couverte de moqueries. Nul doute que le Seigneur se soit penché sur son âme, quand elle la lui rendit, et ne garde chez Lui son dernier souffle pour le grand jour des comptes. Tout ne finit pas ici.

Je le dis plus haut, un livre m’a particulièrement aidé à retrouver un amour sain et sans complexe du Liban: Mémoire et Identité de Jean-Paul II. L’ouvrage consacre de très belles lignes au patriotisme, un “amour ordonné” pour la patrie, qu'il oppose d'une certaine manière au nationalisme. “Si l'on se demande quelle place occupe le patriotisme dans le décalogue, dit Jean-Paul II, la réponse ne laisse aucune hésitation: il se situe dans le cadre du quatrième commandement, qui nous engage à honorer notre père et notre mère. Il s'agit en effet de l'un des sentiments que la langue latine désigne sous le terme pietas, soulignant la valeur religieuse qui sous-tend le respect et la vénération dus à nos parents (...). Patriotisme signifie amour pour tout ce qui fait partie de la patrie: son histoire, ses traditions, sa langue, sa conformation naturelle elle-même (...). Tout danger qui menace le grand bien de la patrie devient une occasion pour vérifier cet amour. Notre histoire nous enseigne que les Polonais ont toujours été capables de grands sacrifices pour préserver un tel bien, ou pour le reconquérir”. “L’identité culturelle et historique des sociétés est sauvegardée et entretenue par ce qui est inclus dans le concept de nation, ajoute le pape. Naturellement, un risque devra être absolument évité: que la fonction irremplaçable de la nation dégénère en nationalisme. (…) Comment peut-on se libérer d’un tel péril?”

Je pense que la manière la plus appropriée est le patriotisme. La caractéristique du nationalisme est en effet de ne reconnaître et de ne rechercher que le bien de sa propre nation, sans tenir compte des droits des autres. À l’inverse, le patriotisme, en tant qu’amour pour sa patrie, reconnaît à toutes les autres nations des droits égaux à ceux qui sont revendiqués pour sa patrie et il constitue donc la voie vers un amour social ordonné. À nous de jouer.

 

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