Bien au delà de la perte d'Alep, le régime d'Assad fragilisé
Cette photo prise à l'entrée de l'aérodrome militaire de Kweyris, dans l'est de la province d'Alep, le 3 décembre 2024, montre un portrait du président syrien Bachar al-Assad et un drapeau national dans une benne à ordures, suite à la prise de contrôle de la zone par les groupes rebelles. ©Rami al SAYED / AFP

Son armée a brutalement reculé le weekend dernier, son économie est exsangue, sa popularité chute et ses soutiens extérieurs ont d'autres priorités. Le chef de l'Etat syrien, Bachar Al-Assad, semble dangereusement fragilisé.

La facilité déconcertante avec laquelle les groupes rebelles ont pris Alep (Nord) puis progressé vers le centre a ébranlé sa légitimité, attisant les convoitises de ses opposants, estiment à l'unisson les analystes.

La capitale reste bien défendue, l'armée a contre-attaqué mercredi avec l'aide de l'aviation russe. Mais la claque reçue à Alep, poumon économique du pays, est lourde de sens.

Le pouvoir "s'est férocement battu entre 2012 et 2016 pour reprendre la moitié de la ville, donc la perdre aussi vite représente une défaite humiliante et illustre la fragilité du régime", estime Charles Lister, du Middle East Institute à Washington.

La progression des rebelles a créé la surprise, possiblement jusque dans leurs propres rangs. Mais elle n'est pas illogique.

"Depuis 2011, on assiste à un délitement en termes d'effectifs, d'équipements et de motivation de l'armée", explique David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques.

Sous-payés, "les soldats se +paient sur la bête+. Beaucoup de jeunes refusent d'être mobilisés". Autour et dans les faubourgs d'Alep ouest, "aux checkpoints, les forces du régime ont plié bagages", ajoute-t-il à l'AFP.

L'armée a "évité l'affrontement en abandonnant de grandes quantités d'équipement militaire", abonde le Harmoon Center d'Istanbul, pointant la faiblesse du régime loin de la capitale.

"Risque de déstabilisation"

Ce n'était pourtant pas faute de s'être préparé, souligne le chercheur irakien Aymenn al-Tammimi, selon lequel Damas avait mobilisé des effectifs militaires "par précaution, en cas d'attaque des insurgés". Mais ce n'était "pas suffisant".

Il évoque la "complaisance de la part du gouvernement et de ses alliés, (...) peut-être guidée par la conviction que le cessez-le-feu de 2020 tiendrait".

Et le chercheur de poser aussi l'hypothèse d'un excès de confiance sur l'efficacité des lignes de défense syriennes, voire de la conviction que les rebelles n'oseraient pas s'attaquer frontalement à une ville de l'importance d'Alep.

Alors que les chancelleries occidentales ne gardaient qu'un œil distrait sur la Syrie, considérant qu'Assad avait quasiment gagné la guerre civile entamée en 2011, l'offensive rebelle rebat toutes les cartes.

"La guerre, les sanctions, l'économie qui ne repart pas... Le régime n'a plus le soutien populaire qu'il avait dans une partie de la population en 2011", explique à l'AFP Fabrice Balanche, récent auteur de l'ouvrage "Les leçons de la crise syrienne".

Et la déflagration s'étend bien au delà du seul Nord syrien. Des rumeurs de coups d'Etat se sont propagées ce week-end et même sans fondement solide, elles renforcent l'image écornée d'un pouvoir affaibli.

"Il y a un risque de déstabilisation, voire de coup d'Etat", convient David Rigoulet-Roze. "Les trois quarts de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les mécontentements, multicommunautaires, grondent", ajoute-t-il.

"C'est désormais une question de survie, non pas seulement du clan Assad, mais de toute la communauté alaouite qui serre les rangs derrière le régime."

L'axe Moscou-Téhéran désuni

Circonstance aggravante, les deux soutiens majeurs de la Syrie, Moscou et Téhéran, ne disposent pas de grandes marges de manœuvre. L'armée russe est concentrée sur la guerre en Ukraine, quand l'Iran et ses affidés - le Hezbollah en tête - sortent affaiblis de leur confrontation avec Israël.

Des frappes russes appuyaient mercredi les opérations des forces de Damas dans les alentours de Hama. Mais sans engagement majeur des alliés de Damas, y compris au sol, reprendre Alep sera impossible, estiment les analystes.

Tout ceci survient au moment où Bachar Al-Assad tente de rééquilibrer ses alliances au profit de Moscou, exaspérant Téhéran. "Bachar sait que son régime pourrait ne plus tenir qu'à un fil. Il veut se rapprocher de plus en plus de Moscou pour moins dépendre de Téhéran", assure David Rigoulet-Roze.

Et de fait, les relations russo-iraniennes "ne sont pas toujours d'une confiance optimale", avec "une convergence d'intérêts" qui "n'empêche pas des méfiances, voire une défiance".

Assad se sent-il lui même en danger ? "Il croyait avoir gagné mais a commencé à craindre de devoir accepter la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU (de 2015, NDLR) et de consentir à une transition politique", pense savoir le Harmoon Center.

A la pression rebelle pourrait s'ajouter tôt ou tard celle des jihadistes du groupe Etat islamique.

"Les meilleures unités du régime syrien déployées (face à l'EI) ont toutes été retirées", avertit Charles Lister. "D'un seul coup, en Syrie centrale où l'EI se reconstruit, il y a un vide total".

 

Didier Lauras, avec AFP

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