Le Codex Rabulensis (1/3)
Codex Rabulensis, folio 6 R°, Canon de concordance à trois arcades. © Biblioteca Medicea Laurenziana

Le Codex Rabulensis est le plus vieux manuscrit à miniatures qui soit daté avec certitude. Il sert de référence pour la datation des autres ouvrages chrétiens ayant perdu le colophon qui mentionne leur date. Cet évangéliaire syriaque a voyagé à travers les siècles, du monastère Saint-Jean de Beit-Zogba au patriarcat maronite d’Ilige, puis à Qannoubine, pour finir à la bibliothèque des Médicis à Florence.

Il s’agit de l’un des manuscrits iconiques les plus importants du patrimoine chrétien mondial. Le Codex Rabulensis est daté du 6 du mois de shvot (février) de l’an 897 d'Alexandre (586 AD) comme l’indique clairement son colophon, et c’est en cela que réside l’un de ses intérêts primordiaux. Cet évangéliaire syriaque qui a voyagé de Saint-Jean de Beit-Zogba au patriarcat maronite d’Ilige, puis à Qannoubine, pour finir à la bibliothèque des Médicis à Florence, est un trésor pour l’histoire de l’art.

 

Un trésor artistique

Il sert de référence pour la datation des manuscrits de toutes les traditions chrétiennes. Son style, son programme iconographique, la facture des personnages ainsi que les sujets et leurs compositions ont servi d’exemples pour les créations artistiques chrétiennes ultérieures, à travers l’ensemble du monde chrétien, qu’il s’agisse de miniatures, d’icônes ou de grandes fresques.

Ce n’est probablement pas l’exemple le plus ancien, mais il s’agit du plus vieux manuscrit à miniatures qui soit daté avec certitude. Les ouvrages arméniens, grecs, latins, coptes ou syriaques ayant perdu le colophon qui mentionne leur date sont donc situés dans le temps par rapport à cette précieuse référence.

Le Codex Rabulensis est un manuscrit complet de 292 feuillets écrits sur deux colonnes de 20 lignes. Il s'agit d'un tetraévangile de 33 cm de hauteur sur 25 cm de largeur. Composé en langue syriaque et écrit en magnifiques caractères estranguélo de forme monumentale carrée, il annonce, dès le VI° siècle, le répertoire iconographique chrétien qui sera respecté en Orient et en Occident.

 

Origine

C’est le moine syriaque Rabula qui a dirigé l’équipe d’artistes qui ont travaillé sur ce trésor iconographique. C’est lui qui l’a daté et qui a signé son colophon en mentionnant également son lieu d’origine, le monastère Mor-Yohanon (Saint-Jean) de Beit-Zogba, probablement dans la région d’Antiochène, à la rencontre des mondes syriaque et hellénistique.

L'évangéliaire de Rabula allait réapparaître au Moyen Âge, au siège patriarcal maronite de Notre-Dame d’Ilige dans le Mont-Liban, en passant sans doute par Kfar-Hay. En 1441, suite aux interminables razzias des Mamelouks, le siège patriarcal a été transféré à Notre-Dame de Qannoubine avec sa bibliothèque et ses archives. Le Codex Rabulensis y est resté jusqu’à son transfert en Europe lors des campagnes organisées par les savants du Collège maronite de Rome durant les XVIIe et XVIIIe siècles. Il se trouve actuellement à Florence, à la Bibliothèque médicéenne laurentienne, sous le code Laur. Plut. I,56.

Au XVIIIe siècle, le savant Étienne Évode Assemani, de Hasroun, en a fait une étude avec des traductions et des interprétations latines. Il entamait en cela les premières recherches sur le manuscrit et sur d'autres ouvrages orientaux qu'il avait lui-même transportés en Italie et qu'il avait classés et répertoriés.

Ce qui va enrichir d’autant plus ce manuscrit, du point de vue purement historique, ce sont les notes marginales constituées de couches ultérieures. Sur les pages écrites et illustrées en l’an 586, nous nous retrouvons dès lors, face à des textes rajoutés tout au long du Moyen Âge par les patriarches maronites. Ces inscriptions, échelonnées sur plusieurs siècles et allant du syriaque au garshouné, mentionnent six patriarches, dont Daniel III de Hadshit (1278-1282), Jérémie III de Dmalça (1282-1297), Jean XI de Gége (1404-1445), Jacques III de Hadat (1445,1468), Pierre VI de Hadat (1468-1492) et Siméon V de Hadat (1492-1524). 

 

Iconographie

Dans le Codex Rabulensis, les pages consacrées à l'écrit contiennent le texte syriaque des évangiles sous sa version simple dite Péshitto. Les folios réservés aux illustrations contiennent, comme élément principal de la composition, les Tables à canons. De part et d'autre, au milieu des marges, se trouvent les vignettes illustrant les principaux épisodes de la vie du Christ. Toujours dans les marges, au-dessus et en dessous, nous remarquons une extraordinaire variété d'images animales et végétales qui font du Rabulensis le seul manuscrit iconique de ce genre. Il faudra attendre l’art arménien du XIIe siècle pour assister à une telle profusion d’images décoratives, puisque les peintres byzantins n’ont connu cette pratique que ponctuellement, entre le IXe et le Xe siècle.

Le codex Rabulensis comporte vingt-six folios illustrés soit de Canons de concordance, soit de grandes compositions occupant des planches entières et s’apparentant, par leur grandeur, à l’esthétique des fresques.

 

Arcades

C’est une série d’arcades sur de fines colonnes qui ornent les feuillets du Rabulensis. Cette composition est employée autant pour les personnages que pour les listes numériques qui indiquent les concordances entre les passages des évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean. C’est l’évêque Eusèbe de Césarée qui a eu l’idée de placer les numéros auprès de leurs correspondants, formant ainsi ce qu’il convient d’appeler les Tables à canons, ou de concordance.

Pour les récits qui ne se retrouvent que chez deux évangélistes, nous obtenons une composition à deux arcades, alors que là où l’événement est relaté par tous les évangélistes, nous assistons à un dessin à quatre arcades. La correspondance la plus courante concerne cependant trois évangélistes et donne lieu à la triple baie qu’Étienne Évode Assémani et le Collège maronite de Rome ramèneront à la lumière au XVIIIe siècle, engendrant une influence artistique qui se manifestera plus tard dans l’architecture libanaise.

La symbolique de ces arcades acquiert une dimension particulière dans les compositions figuratives. Les personnages sont ainsi isolés dans ce modèle architectural qui les place dans un espace intemporel merveilleusement décrit par Jules Leroy dans son ouvrage les Manuscrits syriaques à peintures, publié par l'Institut français d'archéologie de Beyrouth. Pour Leroy, la sacralité abritée par l’arcade, et qui imprègne “l'homme d'une dignité nouvelle en le situant dans une aire à part qui le dégage de celle du commun des mortels, justifie l'utilisation qui en est faite dans les Canons pour marquer l'excellence du texte sacré, auquel ils servent de portique solennel”.     

Ce mode de représentation, qui embrasse autant les portraits que les listes numériques des Canons, deviendra le stéréotype pour les mosaïques, les fresques, les manuscrits et les icônes. Nous le retrouvons encore de nos jours dans les fresques des absides maronites traditionnelles et modernes.

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