“Nous avons tous perdu quelque chose, mais nous avons aussi appris à nous entraider. C’est important de garder l’esprit de Noël vivant, même si c’est difficile dans les circonstances actuelles. Nous devons montrer que nous sommes ancrés là, que nous n’avons pas perdu espoir.” Propriétaire d’une boutique à Marjayoun, Paul arrange ses étalages, comme il l’a toujours fait. Comme si, quelques semaines auparavant, il n’avait pas l’estomac noué à l’idée que la guerre allait se prolonger et qu’il n’allait pas pouvoir reprendre une vie normale.
Après une année et trois mois de guerre et de destructions, la fête de Noël dans le caza de Marjayoun prend une teinte différente, marquée par une grande mélancolie. L’ambiance est morose, en dépit de l’effort fourni pour la rendre festive. Les sapins de Noël qui illuminent chaque année les places des villages chrétiens ont été installés. Les crèches aussi.
À Klayaa et à Rmeich, on s’efforce d’oublier les mois passés dans la peur. Les places des deux villages, où des récitals de Noël sont organisés, brillent de mille lumières.
La destruction et la perte d’êtres chers ont laissé des cicatrices profondes. La région panse toujours ses blessures, tente de retrouver un semblant de normalité malgré tout. Noël est devenu cette année symbole d’espoir, de résilience et de renouveau. L’optimisme reste de mise, en dépit de tout.
La Nativité est célébrée au milieu de bâtiments en ruine, de routes endommagées et de villages dévastés. Le tout rappelle les horreurs vécues pendant la guerre.
Les rues de Marjayoun, traditionnellement animées à l’approche des fêtes, arborent cette année une tenue plus sobre. Les décorations sont simples mais pleines de sens, comme si la ville avait du mal à se réjouir. Les sapins de Noël se dressent fièrement et les églises résonnent de cantiques de Noël. Jusqu’à 17h seulement, parce qu’entre 17h et 7h, un couvre-feu est toujours imposé par l’armée israélienne.
Les vitrines des magasins, ornées de quelques guirlandes et de sapins modestes témoignent d’une résilience face à l’adversité. Le sapin de Noël central, bien que décoré, reste modeste et semble perdu au milieu de l’immensité des défis auxquels la région fait face.
Des associations locales continuent à mobiliser des dizaines de volontaires pour emballer les cadeaux qui feront briller les yeux des enfants qui ont vécu les traumatismes de la guerre.
#Noël au Liban-Sud: un souffle de vie teinté de mélancolie pic.twitter.com/lFzEQIOZZs
— Ici Beyrouth (@Icibeyrouthnews) December 24, 2024
Un répit bienvenu
Ce retour aux traditions locales offre un répit bienvenu aux habitants du sud, leur permettant de se recentrer sur les valeurs de paix, d’amour et de partage. “Même si nous vivons dans une région où le contexte est difficile, vu sa proximité de la frontière israélienne, nous voulons montrer que le sud ne se résume pas à la guerre. Ici, de nombreuses religions cohabitent et ce sapin symbolise notre capacité à célébrer ensemble les moments importants de cette fête sacrée”, souligne Sari Gholmieh, vice-président de la municipalité de Marjayoun.
Les marchés de Noël et les activités festives sont inexistants cette année. Les souks, autrefois vibrants de vie et de couleurs, sont presque vides. Les décorations des vitrines des magasins peinent à masquer l’absence de clients. La vente est réduite et les commerçants, confrontés à des difficultés économiques, ne cachent pas leur désarroi face à une saison qui devait être synonyme de joie et de prospérité. “Nous espérons que les gens viendront pour célébrer les fêtes avec nous et soutenir nos petites entreprises”, soupire Chadi, propriétaire d’une boutique.
Des magasins ouverts, achalandés, mais qui soldent presque tout après une longue période de fermeture. Des restaurants à peine animés. Un Noël à l’image de ce Liban exsangue et toujours empêtré dans ses crises. “Tous les signes de joie semblent artificiels cette année. Mais c’est quand même une manière de prouver que nous existons et d’essayer de dire que malgré toutes les crises, nous sommes toujours en vie. Peut-être que les prières, la veille de Noël, seront pour nous, le meilleur moyen d’exprimer notre besoin que le Sauveur guide l’humanité”, avance Ramzi, propriétaire d’un restaurant.
Les habitants de la zone frontalière sont habitués aux “temps difficiles” assure le père Antonios Farah, dans l’église de Saint-Georges à Klayaa, où trône une crèche grandeur nature. “Nous avons décidé de résister et de rester. On doit vivre pleinement la joie de Noël. C’est notre façon de prier pour la paix”, ajoute-t-il. Malgré les sentiments de crainte et d’anxiété éprouvés toujours par les habitants de Rmeich et des villages alentour, ces derniers essaient autant que possible de vivre l’atmosphère des fêtes. Les rues de Rmeich, d’ordinaire animées en cette période, sont quasi désertes à la tombée de la nuit. Victoria, une habitante du village, se dit déterminée à ne pas changer ses habitudes: “Aller à la messe de minuit et passer le réveillon en famille, accueillir un père Noël… nous devons vivre la joie de Noël”, affirme-t-elle.
Entre ruines et douleurs, l’espérance demeure
Dans les maisons traditionnelles de Marjayoun, les familles se préparent pour Noël. Les enfants se réunissent pour décorer le sapin familial. “Nous allons mettre des guirlandes argentées et des lumières violettes sur les balcons, le long des escaliers et aux fenêtres en écoutant les chants de Noël pour mieux nous imprégner de l’atmosphère des fêtes”, lance Suzy, qui espère que “la Nativité marquera cette années la renaissance de la paix dans notre pays”.
Les retrouvailles de Noël sont un moment de joie inestimable. Les enfants et les jeunes qui ont quitté le village pour les études ou le travail sont de retour. Les préparatifs battent leur plein, les maisons se remplissent de rires et de souvenirs partagés. Les parents, impatients de retrouver leurs enfants, mettent le paquet pour décorer les sapins et préparer les plats traditionnels, tout en se remémorant les Noël passés. “Cela fait deux années que nous n’avons pas célébré Noël ensemble”, confie Nadine, une mère de famille de Klayaa. “J’ai hâte de voir mes enfants, de les serrer dans mes bras et de partager ce moment précieux avec eux”.
Si la joie des retrouvailles prédomine, elle reste empreinte de mélancolie. Des familles se réunissent pour honorer aussi la mémoire des êtres chers qui ont perdu leur vie pendant le conflit. Des bougies sont allumées en leur mémoire, des prières sont récitées. La douleur de l’absence est omniprésente et les rires se mêlent souvent aux larmes alors que chacun évoque ceux qui lui manquent. “J’ai perdu mon père la veille du cessez-le-feu. Tout le monde le connaît et l’appelle Ammo Abou Fadi. C’est un moment doux-amer aujourd’hui. Je me souviens de ses rires, mais je ressens aussi un vide immense”, partage Kate, sa fille. “Mes amies et les proches sont là pour moi. Leur soutien m’a aidé à traverser cette période”, ajoute-t-elle.
Les retrouvailles prennent ainsi un sens différent. Les habitants, après avoir traversé des temps difficiles, montrent que l’amour et la solidarité peuvent triompher des épreuves.
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