Le Liban, malade de ses dirigeants
©Ici Beyrouth

Une classe politique immature, dépendante, transgressive et prédatrice a plongé le Liban dans une crise profonde. Prisonniers d'une configuration psychopathologique, les dirigeants confondent leur destin personnel avec celui de la nation.

Au cœur de la tourmente que traverse le Liban, on ne tient pas suffisamment compte des facteurs psychiques qui y jouent un rôle déterminant.

A l’origine de cette crise profonde se dissimule une classe politique coupable du pourrissement présent, une classe dont les dysfonctionnements psychologiques relèvent de véritables pathologies mentales. Fixés à un stade infantile de leur développement, les hommes et les femmes au pouvoir perpétuent un cycle d’assujettissements et de volontaires aveuglements qui a mené au bouleversement de l’âme de ce pays.

Car la maturité ne se mesure nullement selon l’âge physique. Pour l’atteindre, il faut réussir la traversée des stades de développement psychosexuels, abandonner les attaches libidinales œdipiennes, intégrer la Loi symbolique, intérioriser les règles morales, accéder à un self authentique, atteindre une identité autonome et stable ainsi que la capacité à naviguer dans le monde politique de manière attentive aux intérêts d’une nation dont il faut assumer la responsabilité.

Ce dont les dirigeants de ce pays manquent maladivement.

Prisonniers d'une position infantile, leur besoin constant de tutelle externe reproduit le schéma de dépendance parent-enfant, révélant une profonde régression psychique. Les mécanismes en jeu sont multiples : une négation systématique des responsabilités, une incapacité à prendre des décisions autonomes pour le bien collectif, et un besoin constant de reconnaissance externe d’une image mensongère.

Cette fixation infantile se manifeste par une fuite permanente devant les échéances cruciales pour le pays. Les dirigeants, tels des enfants immatures, se réfugient dans des comportements régressifs, espérant que des figures tutélaires externes viendront les renforcer dans leur propre incurie. Cette dynamique infantile et irresponsable se répercute à tous les niveaux de l'État, paralysant les institutions et empêchant toute réforme structurelle.

Mais cette dépendance pathologique n'est que la face visible d'un mal plus profond qui ronge la classe dirigeante libanaise : le narcissisme effréné. Les leaders, à quelque domaine auxquels ils appartiennent, présentent une image flatteuse d'eux-mêmes, soigneusement construite pour masquer leurs véritables desseins pervers. Derrière cette façade se cache une réalité bien différente, faite de manœuvres obscures et de conduites retorses. Ce clivage de l'image témoigne d'un mécanisme de défense primitif, où la grandiosité affichée sert à dissimuler une fragilité narcissique sous-jacente. Puérilement en quête d'approbation auprès de substituts parentaux, ils multiplient les allégeances contradictoires, jouant un double jeu permanent entre les différents parrains régionaux et internationaux. Cette dépendance vis-à-vis de l'étranger les amène à brader la souveraineté nationale sur l'autel des intérêts personnels.

Leur quête insatiable les pousse à utiliser autrui comme un simple instrument pour parvenir à leurs fins, manifestant un égocentrisme marqué qui caractérise toutes leurs actions. L'exploitation relationnelle s'accompagne d'un manque d'empathie et d'une incapacité à incarner les besoins de la population et du pays. D’où une disjonction profonde entre l'image projetée et la réalité des actes. Les dirigeants, prisonniers de leur moi boursouflé, se perdent dans un labyrinthe de contradictions, d’incompétences et d'incohérences. Leurs discours, empreints de promesses et d'engagements, ne sont que des façades destinées à masquer leur incapacité à agir pour le bien commun. Cette discontinuité psychique alimente un climat d'instabilité et de défiance qui mine les fondements mêmes de l'État ainsi que le sentiment de sécurité des citoyens dont un grand nombre n’entrevoit plus d’espoir qu’en dehors du Liban.

Plus inquiétant encore est le rapport pathologique qu'entretiennent ces dirigeants avec la Loi symbolique et les institutions. Tels des enfants préœdipiens régis par la recherche de satisfactions pulsionnelles, ils se placent au-dessus de tout interdit, s'affranchissant des règles les plus élémentaires de l'État de droit. L'amnistie générale qu'ils se sont octroyée pour les crimes commis durant la guerre civile est un exemple frappant de cette transgression systémique. Les dirigeants se positionnent ainsi dans une toute-puissance infantile, où la notion même de responsabilité pénale est évacuée.

Cette configuration psychopathologique se caractérise par un fonctionnement primitif où les pulsions féroces s'expriment sans entrave, la force remplaçant le dialogue. La violence systématique et l’élimination d’autrui deviennent un mode de régulation du cours des affaires publiques et privées, témoignant d'une structure psychique profondément pervertie. Leur avidité est abyssale n’offrant que des restes à leurs affidés.

Cette transgression systémique est étroitement liée à une autre pathologie qui gangrène le système politique libanais : la prédation institutionnalisée. Les dirigeants traitent l'État comme une entreprise privée génératrice de profits personnels, transformant les institutions publiques en sources de rentes et de prébendes, pillant les économies de milliers de libanais, négligeant criminellement le stockage d’ammonium au port, faisant preuve d’un mépris cynique face à la détresse des citoyens. Les ressources nationales sont détournées, les marchés publics truqués, tandis que le pays sombre dans une crise économique, politique et sociale inédite. Alors que le Liban s'enfonce dans une inflation galopante et un effondrement de la monnaie nationale, la classe politique continue ses querelles d’épiciers pour le partage de leur mainmise.

La perversion du pouvoir atteint son paroxysme dans le système de marchandage politique qui régit le Liban. Chaque chef communautaire participe à cette grande foire aux privilèges, tentant d'obtenir sa part du gâteau national. Les alliances se font et se défont au gré des intérêts personnels, sans aucune considération pour l'intérêt général. Cette dynamique perverse révèle une structure psychique où la notion même de bien commun a disparu, remplacée par une logique de rapacité généralisée.

Dans ce contexte de déliquescence institutionnelle, l'incompétence des dirigeants apparaît comme un symptôme supplémentaire de la pathologie qui ronge le système politique libanais. Refusant toute aide extérieure afin d’améliorer le fonctionnement des services, ils maintiennent un rationnement draconien de l’électricité au profit des avantages que leur procure les générateurs cancérigènes, ils ignorent les déchets qui s'amoncellent dans les rues offrant aux rats des repas bien vitaminés, ils négligent l’entretien des infrastructures abandonnées au délabrement. Cette incurie n'est aucunement accidentelle : elle relève de l’application d’un plan général d’appauvrissement et de déliquescence visant à mettre le pays sous la botte d’un dogmatisme moyenâgeux. Cette configuration psychopathologique révèle une structure perverse collective transformant l'État en un champ de ruines qu'ils continuent néanmoins à se disputer, tels des charognards se partageant les restes d'une proie.

La soif de pouvoir des dirigeants libanais prend des proportions démesurées, confinant parfois à la mégalomanie. Chaque leader communautaire se rêve en sauveur providentiel, seul capable de guider le pays vers des lendemains meilleurs. Cette illusion de toute-puissance se nourrit d'une vision messianiste du pouvoir, où la figure du chef est investie d'une aura quasi-divine. Les dirigeants, pris dans les rets de leur propre narcissisme, en viennent à confondre leur destin personnel avec celui de la nation.

Cette mégalomanie institutionnalisée se traduit par une monopolisation du discours politique où chaque leader s'érige en porte-parole exclusif de sa communauté. Les divergences d'opinion sont étouffées, les voix dissidentes marginalisées, tandis que le culte de la personnalité est élevé au rang de religion d'État. La confiscation de la parole publique révèle une profonde insécurité narcissique, où toute forme de pluralisme est vécue comme une menace existentielle.

Mais cette soif de pouvoir ne peut se satisfaire d'une simple domination symbolique. Elle exige une emprise totale sur les ressorts de l'État, transformant les institutions en instruments de contrôle et de coercition. Les services de sécurité, les administrations publiques, la justice, les médias, tous les rouages de la société sont progressivement phagocytés par les appareils partisans, au service des intérêts personnels des dirigeants. Cette mainmise s'accompagne d'une violence latente, toujours prête à se déchaîner pour écraser toute velléité de contestation, régulièrement accusée de collaboration avec l’ennemi. Les dirigeants, tels des tyrans paranoïaques, voient des complots partout, des ennemis à chaque coin de rue. Cette vision persécutoire du monde les pousse à resserrer toujours plus leur contrôle sur la société, étouffant les libertés individuelles et collectives.

Face à cette dérive pathologique du pouvoir, la société libanaise apparait paralysée, comme anesthésiée par des décennies de guerre civile ou incivile et de violence. Les citoyens, pris en otage par des dirigeants pervers et narcissiques, peinent à se mobiliser pour exiger un changement de cap. La peur, la résignation, le cynisme, l’individualisme outrancier et la précarité de leur condition ont progressivement érodé les ressorts de l'engagement collectif, laissant le champ libre aux dérives les plus morbides.

La maturité politique d'un dirigeant se mesure à sa capacité à dépasser le narcissisme primaire de la toute-puissance infantile. Un leader mature accepte la complexité des enjeux, fait preuve d'humilité et reconnaît les limites de ses compétences. Il intègre la primauté de la Loi, respecte les institutions et l’état de droit, se retenant de céder au vertige du pouvoir et à la satisfaction immédiate de ses pulsions. Sa maturité se manifeste par une aptitude à accepter le doute et l'incertitude, à maintenir une cohérence entre discours et actions, ainsi que par une ouverture à l'autre, une écoute des besoins de la population et un engagement sincère et effectif pour le bien commun.

Et, par-dessus tout, il intériorise cette règle morale fondamentale selon laquelle il ne fera pas à autrui ce qu’il ne voudra pas qu’autrui lui fasse.

 

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