Réouverture des écoles à Marjeyoun: le retour à la vie
Les enfants du Liban-Sud ont repris mardi le chemin de l'école, après plus d'un an d'enseignement en ligne. ©Katia Kahil

Pour la première fois depuis près d’un an et demi, la cloche a retenti, mardi, au Collège des Saints-Cœurs de Marjeyoun et dans les écoles des villages voisins, proches de la frontière avec Israël.

Depuis octobre 2023, les élèves de cette région du Liban-Sud suivaient les cours à distance, en raison des échanges de tirs quotidiens entre le Hezbollah et l’armée israélienne, puis de la guerre lancée par Israël contre cette formation, en septembre 2024.

Aujourd’hui, le retour est chargé d’émotion et de défi, aussi bien pour les enfants que pour les parents et le corps enseignant. La cloche qui sonne a donné le signal d’un retour à la vie.

“J’ai accompagné mes deux enfants en classe. Nous sommes tous heureux, mais tendus en même temps. Nous avons peur de revivre la guerre, après la trêve de soixante jours”, dit Najwa, aux portes du collège.

La réouverture des écoles représente un nouveau départ. Après des mois passés devant un écran, les petits sont impatients de retrouver leurs camarades et de renouer avec l’apprentissage en présentiel.

Leurs cartables sur le dos, les écoliers s’égaillent joyeusement dans la cour avant de gagner les salles de classe. Les accolades, les tapes sur le dos, les courses-poursuites s’enchaînent, ponctuées de cris de joie et d’éclats de rire.

Cependant, cette transition n’est pas sans inquiétude. “Je suis vraiment contente de revenir à l’école après une année difficile en raison de l’enseignement à distance. J’ai hâte de revoir mes amis et de participer aux cours en direct. Mais j’ai aussi peur de ne pas être à la hauteur, car j’ai du mal à me concentrer après tout ce temps. Nous espérons pouvoir continuer à venir à l’école cette année”, s’exprime Clara, élève de troisième (EB9).

 

Les défis à surmonter

Des craintes parfaitement légitimes, parce que les perturbations de l’apprentissage pour cause de guerre ne sont pas sans laisser de séquelles. “L’interruption de l’apprentissage des enfants et des adolescents vivant dans des zones de guerre, surtout au Liban-Sud, a un impact sur toute leur vie, dans la mesure où leurs perspectives d’avenir s’en voient compromises”, explique le directeur de l’École technique à Marjeyoun. “Cela aura un impact sur leurs capacités à apprendre, à se développer et à se faire une place au sein de la société. Les défis d’éducation sont nombreux, mais pas insurmontables”, souligne-t-il.

Cette réflexion donne une idée des défis que les enseignants auront à affronter pour aider les écoliers à renouer avec une vie normale.

“Nous avons voulu surmonter les difficultés et rouvrir nos portes, dit la directrice de l’établissement des Saints-Cœurs, sœur Hiam Habib, en dépit de nombreuses difficultés logistiques, dont les coupures du courant électrique et la faiblesse du réseau internet”.

Les circonstances sont exceptionnelles et la situation actuelle reste très éprouvante pour les équipes éducatives, car tout n’est pas rentré dans l’ordre. Il y a encore des écoliers sont déplacés; les établissements scolaires ne peuvent pas occulter cette réalité et supprimer l’enseignement à distance. Des moyens de substitution (enseignement hybride et rythmes allégés) sont envisagés, mais l’enseignement hybride pose un problème, car il est difficile pour les élèves d’avoir parfois à partager un seul ordinateur. On parle d’un ordinateur pour trois enfants.

Bon nombre d’établissements situés en zone dite rouge, dans les villages frontaliers, comme Mays el-Jabal, Taybeh et d’autres, ont subi de plein fouet les bombardements et les raids, et sont totalement ou partiellement détruits.

Le directeur du Lycée officiel de Khiam, où l’armée s’est déployée récemment, souligne l’effet de la guerre sur les enfants et les traumatismes vécus par les écoliers de ces localités. “Partiellement détruit, notre lycée compte des classes entièrement dévastées ou éventrées, des fenêtres et des portes brisées”, décrit-il.

Engagés dans l’enseignement en ligne, “nos élèves, portés par une soif de vie et de savoir, ont fait preuve d’une volonté inébranlable de persévérer, soutenus par une bonne équipe éducative”, ajoute-t-il.

Malgré la difficulté de certains à affronter la situation, les directeurs des collèges et lycées privés et publics entendent maintenir une forme de continuité éducative, grâce à l’engagement de tout le personnel éducatif et administratif.

“Il faut continuer de se débattre au service des élèves”, affirme Nabih Lahoud, directeur de Collège national de Marjeyoun, qui reprend des propos de Nelson Mandela: “L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde”. Pour lui, l’important est “d’assurer le maintien de l’éducation”. “C’est notre façon de résister face à la guerre. Ce sont eux, nos enfants, qui reconstruiront le Liban”, souligne M. Lahoud.

 

Des traumatismes

Les traumatismes sont multiples au sein de la communauté du Sud: décès d’un proche, destruction du domicile. Ils affectent de nombreux enseignants et élèves qui peinent à retrouver un semblant de normalité. “Je devrais être heureuse de retourner à l’école. J’attendais impatiemment ce jour-là, mais je sens un vide. Mon frère n’est plus là pour me soutenir. Il a été la victime d’une guerre que personne ne voulait et je n’arrive pas à me concentrer sur mes études. Chaque fois que je pense à lui, je me sens triste”, soupire Hala, une élève de 16 ans.

L’anxiété, la dépression et le stress post-traumatiques sont le lot de nombreux enfants qui ont vécu la guerre. Les enseignants jouent un rôle crucial dans leur soutien. Des séances de soutien psychologique et des activités de groupe sont prévues pour favoriser un environnement d’apprentissage positif.

“J’ai peur des bruits forts. Quand j’entends un bruit soudain, je panique. Je me souviens des explosions et cela me rend très nerveux”, témoigne Jad.

 

Un élan de solidarité

Maintenir les liens, assurer un encadrement, un accompagnement, s’avère une nécessité. Les enseignants y puisent aussi une motivation particulière qui leur permet, à eux aussi, de surmonter les incertitudes du quotidien et la pression psychologique qui pèse sur toute la population. “Ensemble, enseignants, élèves et parents, nous allons continuer à transformer les défis en réussite et à bâtir un avenir prometteur pour nos jeunes, nos futures générations, avec beaucoup de courage et de persévérance“, lance sœur Hiam Habib.

 

 

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