De déplacement en déplacement, les habitants du Liban-Sud accumulent les pertes
©AFP

Plusieurs fois déplacés et dans l’incapacité de rentrer dans leurs villages dévastés, des habitants du Liban-Sud peinent à payer des loyers qui flambent et se disent trahis par le Hezb à qui ils reprochent de ne pas honorer ses promesses.

Kfarkila, Adaisseh, Taybé, Mays el-Jabal, Wazzani étaient réputés pour leurs champs verdoyants, plantés de toutes sortes d’arbres fruitiers, leurs collines majestueuses et le joyeux murmure de leurs cours d’eau. La vie y était simple. Les jours s’y écoulaient, sereins, au rythme des rituels familiaux et des traditions. Et puis, il y a eu la guerre. Ce fut le début d’un véritable chemin de croix qui est loin d’être terminé.

 

Déplacements répétés: pertes et défis

Plus de 100.000 personnes ont fui le Liban-Sud, mais ce que beaucoup ignorent, c’est que nombre d’entre eux ont subi de nombreux déplacements qui ont épuisé leurs économies.

La famille Reslane a vécu la première déchirure en octobre 2024, lorsque le Hezbollah a décidé d’ouvrir le front sud avec Israël. Tout a basculé un jour d’octobre. On se préparait à aller cultiver notre champ d’oliviers lorsque des sirènes d’alarme ont retenti au loin. Nous sommes partis, emportant quelques effets personnels et l’espoir de revenir un jour”, soupire Abou Ziad.

Contrairement à ceux qui se sont rués dimanche vers leur village, Abou Ziad préfère attendre. La situation dans la bande frontalière reste très volatile, comme l’ont montré les incidents du week-end. Ahmad aussi. “Nous avons quitté notre village, Khiam, où je suis né et où j’ai de beaux souvenirs. Ma famille a trouvé refuge d’abord dans le village voisin, Ebl el-Saqi, où il fallait compter un minimum de 500 dollars par mois pour louer une maison, mais la guerre nous a rapidement rattrapés. Nous avons déménagé plus de trois fois. À Nabatiyé, d’abord, puis à Habbouch et enfin un peu plus loin, dans les alentours du caza de Nabatiyé. À chaque fois, nous cherchions désespérément un endroit sûr. Chaque déplacement était un nouveau coup dur et nous coûtait davantage. Au début des hostilités, des habitants de Nabatiyé, des expatriés d’Afrique, ont généreusement offert leurs maisons dans un élan de solidarité avec les déplacés des villages frontaliers. Ensuite, ils ont demandé à être payés. Les loyers variaient entre 200 et 700 dollars. Chaque fois que nous nous croyions en sécurité, nous nous retrouvions obligés de fuir”, raconte ce déplacé de Khiam.

À l’angoisse, s’ajoute ainsi la souffrance économique. Les agriculteurs qui ont vu leurs terres ravagées n’ont plus aucun moyen de subsistance et ont vu avec effroi fondre leurs maigres économies. D’autres se sont retrouvés sans emploi et sans ressources, luttant désespérément pour subvenir aux besoins de leurs familles et leur assurer des refuges décents. C’est que, profitant de la détresse des déplacés, de nombreux propriétaires ont relevé leurs loyers, surtout depuis que le Hezbollah a annoncé qu’il comptait couvrir les frais de location de ceux qui avaient perdu leurs demeures. “J’ai tenté de reconstruire ma vie avec ma petite famille et mes parents, mais les explosions nous suivaient et nous nous voyions obligés de nous éloigner de plus en plus. À chaque déplacement, nous nous efforcions de nous adapter à un nouvel environnement”, dit Oula, mère de famille.

 

Les indemnités, un soutien limité

Le Hezbollah, force paramilitaire dominante dans la région, avait promis des indemnités aux personnes affectées par la guerre. Ces dernières avaient espéré recevoir une aide substantielle pouvant les aider à reconstruire leur vie. Déception. “L’aide est largement en deçà de nos attentes et du minimum vital. Les 200 dollars mensuels alloués à chaque famille déplacée sont insuffisants pour couvrir les besoins essentiels”, affirme Oula.

Cette déchirure, physique et émotionnelle, est exacerbée par l’incertitude qui entoure la sécurité de logement. “Nous sommes confrontés à d’importantes pressions économiques. Le Hezbollah nous a obligés à passer par des formalités notariales pour officialiser les contrats de location”, ajoute Oula.

Cette démarche a ajouté au lot de complexité et de stress, les bénéficiaires devant jongler entre la bureaucratie qui implique des charges supplémentaires et leurs besoins quotidiens.

En dépit de ces formalités, le paiement des loyers est parfois irrégulier. En outre, de nombreuses familles n’ont pas reçu d’aide, en raison d’un favoritisme manifeste”, affirme Ramzi, un fermier qui s’est vu dans l’obligation de vendre sa ferme récemment, à un prix dérisoire.

“Sans emploi et sans soutien adéquat, nous sommes déçus par la prise en charge d’une partie des frais de location par le Hezbollah, dit-il. Les propriétaires demandent désormais des loyers allant jusqu’à 600, voire 750 dollars par mois. Nous cumulons les pertes et allons de déception en déception. Nous avions cru que l’aide promise par le Hezb nous permettrait de souffler, mais la réalité est tout autre. Les promesses faites par les responsables locaux du Hezbollah se sont rapidement évaporées”.

“Les loyers sont exorbitants et trouver un logement décent est impossible. Nous recevons un peu d’argent qui nous oblige à choisir entre médicaments et nourriture. C’est vraiment une lutte quotidienne”, explique Fadia qui ne cache pas son désarroi.

Naya, une jeune mariée de Mays el-Jabal, a perdu, il y a seulement quelques semaines, sa maison située dans la zone dite rouge au Liban-Sud. Elle raconte: “J’y avais emménagé à mon retour de voyage de noces, en octobre 2023. J’ai toujours aimé cette maison que nous avions aménagée ensemble, mon mari et moi. Pendant des années, nous mettions de côté une partie de nos salaires pour que chaque recoin reflète nos rêves. C’était un lieu magnifique, chaleureux et réconfortant, où je me sentais toujours en sécurité. Aujourd’hui, je dois sans cesse m’adapter à de nouveaux environnements. Déplacée à Nabatiyé, je vaquais à mes occupations quand une frappe a ciblé un bâtiment proche. Avec l’intensification des hostilités, nous avons dû nous déplacer une seconde fois, à Dik el-Mehdi, au nord de Beyrouth. Nous y avons loué un appartement avec mes parents et mes beaux-parents, sans l’aide d’aucun parti politique, et surtout pas du Hezbollah. Ma seule préoccupation aujourd’hui est la stabilité. Combien de temps allons-nous vivre ainsi?” 

Amer est assis, seul, à l’ombre d’un arbre. Il vient de Houla et s’était réfugié dans la banlieue sud de Beyrouth en raison de l’intensification des raids israéliens. “Certains ont pu se faire payer un appartement par le Hezbollah, d’autres ont dû s’entasser dans des maisons de proches en espérant pouvoir rapidement rentrer chez eux”, confie-t-il.

La frustration et la rancœur des déplacés grandissent face à l’insuffisance des indemnités (1.000 dollars ont été promis aux familles dont les maisons ont été partiellement détruites et 12.000 dollars par an aux déplacés de la région frontalière ayant complètement perdu leurs maisons). Cependant, les montants alloués sont le plus souvent dérisoires.

Beaucoup de déplacés veulent revenir au plus tôt dans leurs villages pour reconstruire leur vie.

Depuis l’instauration du cessez-le-feu, le 27 novembre 2024, l’armée israélienne a interdit l’accès à 64 villages le long de la frontière sud encore sous son contrôle. Dans certains cas, elle ouvre le feu sur ceux qui y pénètrent.

Commentaires
  • Aucun commentaire