
Le Liban est, semble-t-il, sur le point de plonger une fois de plus dans l’obscurité totale. En cause, des soupçons qui pesaient sur la qualité d’un chargement de fuel attendu à Beyrouth alors que l’ancien ministre de l’Énergie, Walid Fayad, avait sensiblement augmenté les heures de distribution de courant, avant de passer la main à son successeur, Joe Saddi.
Le Liban se trouve une nouvelle fois face à une crise énergétique de grande ampleur. Selon des sources proches d’Électricité du Liban (EDL), la quantité de carburant disponible pour la production d'électricité n’est suffisante que pour un maximum d’environ 8 jours, menaçant ainsi d’un black-out total vers le 25 février.
Cette insuffisance de carburant survient alors que des retards importants ont été enregistrés dans la livraison de cette matière, en raison de tests contestés sur des cargaisons de fuel. Il faut dire que les “affaires louches”, entourant chaque navire transportant des dérivés pétroliers vers le Liban sont monnaie courante.
L'ancien ministre de l’Énergie, Walid Fayad, est le principal accusé dans cette affaire. Il lui est reproché d'avoir augmenté l'approvisionnement en électricité à plus de 10 heures par jour avant de quitter ses fonctions, sans un plan solide à long terme. Ce n'est pas d’ailleurs la première fois que Walid Fayad se trouve dans le collimateur. Il a souvent été accusé de mener une politique énergétique, dans une logique politicienne, sans vision aucune.
Pour se défendre, l’ancien ministre évoque une “campagne médiatique malveillante” le visant et à cause de laquelle “une cargaison de fuel commandée a été bloquée”. Dans un communiqué, il a cherché à clarifier les faits et à lever le voile sur ce qu'il appelle “une tentative de sabotage de la gestion énergétique au Liban”. “Je tiens à préciser, de manière transparente, les faits concernant les résultats des tests effectués sur le fuel. Les 8 et 9 février dernier, nous avons reçu des résultats positifs du bureau Veritas de Dubaï, confirmant que le fuel était conforme aux spécifications requises, après un test effectué sur un échantillon prélevé au port de chargement, puis un autre sur le navire après le chargement, conformément au cahier des charges de l'appel d'offres”, a-t-il affirmé. Avant de poursuivre, qu’“à cause de la campagne de diffamation menée par certains médias diffusant des informations erronées et des interventions d’individus corrompus cherchant à saboter le secteur de l’énergie, la cargaison du navire a été injustement bloquée sous prétexte qu’elle ne correspond pas aux spécifications. Cela nous a contraints à réaliser un nouveau test de carburant sur le navire après son arrivée”.
Il a estimé que cette opération a entraîné un retard de 10 jours dans la livraison de la cargaison de 35.000 tonnes de fuel aux centrales et les résultats n’ont été reçus que ce lundi, confirmant que le fuel était totalement conforme aux tests précédents. Selon lui, le retard dans le déchargement du carburant a causé une perte directe de 200.000 dollars et une perte de 48 millions de kilowattheures d’électricité, soit environ 12 millions de dollars supplémentaires.
De son côté, le nouveau ministre de l’Énergie, Joe Saddi, se retrouve dans une situation délicate. “Je suis arrivé en pleine saga”, confie-t-il à Ici Beyrouth. En effet, c’est lui qui a décidé de bloquer le déchargement du carburant en raison de divergences sur les tests effectués avant son arrivée au Liban. Contrairement à l'ancienne équipe qui, pendant des années, a concentré dans ses mains tous les pouvoirs liés au secteur de l’énergie du ministère, M. Saddi a décidé de se conformer strictement à la législation en vigueur. Des échantillons ont été ainsi prélevés à l'arrivée du navire et une analyse complémentaire a été demandée à un laboratoire certifié. Cette décision, bien qu’impopulaire, semble être un premier pas vers la restauration de la transparence au sein du secteur. “Nous avons reçu les résultats aujourd’hui (lundi) qui certifient que le fuel répond aux spécifications requises”, a-t-il affirmé.
Dans le même cadre, la question du rôle d’Électricité du Liban dans l'achat de carburant se pose. Selon une étude juridique qui a été menée et qui se trouve au ministère de l’Énergie, la Direction générale du pétrole, qui a pris en charge les achats de fuel ces dernières années, agit en violation des lois des marchés publics. D'après l’étude, EDL, en tant qu'institution publique ayant un budget propre, devrait elle-même s’occuper de l’achat du carburant nécessaire au fonctionnement des centrales. La Direction générale du pétrole, qui s’est arrogé ce rôle, sous l'égide de l'ancien ministre Fayad, n'aurait pas la légitimité nécessaire pour signer les contrats d'achat. Cette situation, selon l’étude, contrevient à la loi des achats publics, qui stipule que toute institution publique ayant un budget autonome doit pouvoir gérer ses propres achats. Ces propos ont été confirmés à Ici Beyrouth, par le directeur des adjudications, Jean Ellieh, qui affirme qu’EDL jouit d’une autonomie financière et administrative qui lui permet de gérer tous ses achats, y compris le fuel. Il rappelle que la question a souvent été soulevée auprès des autorités concernés mais le ministère arguait qu’EDL n’avait pas les fonds nécessaires pour payer le carburant.
Ce changement pourrait marquer une rupture avec les pratiques passées, entachées d’opacité. Si le ministre Saddi redonne à EDL son rôle, cela pourrait être déjà un tournant pour la gestion de l’achat de carburant au Liban.
Rappelons que le secteur de l’énergie a été géré pendant plus de dix ans par des ministres proches du CPL, sans qu’ils réussissent à régler le problème de l’électricité au Liban ou à proposer une vision d’avenir.
EDL a accumulé, au fil des ans, un déficit chronique mirobolant, nécessitant des subventions massives et empêchant toute modernisation des infrastructures. Ce déficit représente plus de 40% de la dette du Liban, reflétant l'ampleur du gouffre financier causé par une gestion malsaine et inefficace du secteur. En somme, la mauvaise gestion du secteur de l'électricité au Liban a non seulement engendré une crise énergétique majeure, mais a creusé un gouffre financier pour l'État et a affecté gravement la vie des citoyens.
Le nouveau ministre, proche des Forces libanaises, entend jeter les bases d’un changement au niveau d’une gestion qui a prouvé son échec.
Il convient de rappeler que le Liban et l’Irak ont conclu un accord le 23 juillet 2021 en vertu duquel l’Irak fournit du carburant aux centrales électriques libanaises, à des conditions avantageuses pour le pays du Cèdre. Cet accord est entré en vigueur en septembre 2021, avec une quantité de carburant fixée à 100.000 tonnes par mois (80.000 tonnes utilisables par les centrales électriques en raison du swap). Le carburant irakien ne pouvant être directement utilisé dans les centrales électriques libanaises à cause de sa teneur élevée en soufre, Beyrouth achète un autre type de carburant compatible auprès d’autres fournisseurs, lesquels reçoivent en échange le carburant irakien.
Ce contrat, qui a été renouvelé pour une troisième année consécutive, a permis aux centrales électriques de Deir Ammar et de Zahrani de fonctionner à près de 80% de leur capacité, et à Électricité du Liban de produire plus de 800 mégawatts d’électricité.
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