
Après une première visite au Liban en 2014, le ténor français David Lefort a de nouveau posé ses valises au pays du Cèdre, et plus précisément à Beit Tabaris, dans le cadre d'une masterclass de chant autour de la mélodie française.
Entre août 2024 et février 2025, Beit Tabaris s’est muré dans un silence forcé. Celui de l’attente, de l’angoisse, de l’incertitude et de l’agonie. Celui qu’imposent les guerres quand elles broient les âmes et dictent leur loi. Hélas. Là où, hier encore, la musique rassemblait les âmes, il ne restait plus que les décombres d’une harmonie brisée. Beyrouth, l’éternelle bien-aimée, semblait s’éteindre à petit feu. Zeina Saleh Kayali, fondatrice de cette résidence d’artistes nichée à Beyrouth, refusait de jeter l’éponge. Et pourtant, la guerre en a voulu autrement. Ses masterclasses? Annulées. L’injustice? Intolérable. La musique ne pouvait pas se taire, encore moins céder sous la violence. Mais comment créer l’harmonie quand le pays s’effondrait, et avec lui tant de rêves et d’espoirs? Comment enseigner quand l’odeur de la mort se faisait sentir? L’art se trouvait contraint de s’effacer devant la dure réalité du moment.
Un art rédempteur
Aujourd'hui, alors que la guerre s'est tue, Zeina Saleh Kayali se précipite pour rouvrir les portes de son salon musical, convaincue que l'art doit reprendre sa place et insuffler à la société un nouveau souffle, une raison de croire en la beauté, envers et contre tout. “L'art est rédempteur. Il est capable de panser les blessures les plus profondes, affirme-t-elle pour Ici Beyrouth. Ce que le Liban a vécu me rappelle certains films sur les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Les gens assistaient à une pièce de théâtre, et lorsque les bombardements s’intensifiaient et que les sirènes retentissaient, tous descendaient dans les abris, puis remontaient pour reprendre la représentation dès que la situation s’apaisait.” Soutenu par l'Institut français du Liban et deux autres mécènes, Beit Tabaris œuvre depuis plusieurs années pour garantir la pérennité de la musique de qualité et offrir un apprentissage d'excellence à la jeunesse musicale, notamment à travers des masterclasses animées par des musiciens français. “Ces jeunes musiciens représentent l'avenir du Liban, et il est de notre devoir de leur redonner de l'espoir”, ajoute la musicographe libano-française.
Mélodie française
Après un premier concert couronné de succès, le 7 février, donné par la soprano Louisa el-Khoury et la pianiste Elena el-Khoury, Beit Tabaris a accueilli, pendant une semaine entière, David Lefort, ténor français chevronné, lauréat de nombreux prix de chant et membre titulaire du Chœur de Radio France, afin de diriger une masterclass dédiée à la mélodie française. Alors qu'est-ce qui distingue celle-ci des autres traditions musicales, notamment italiennes et allemandes? “La mélodie française diffère grandement du lied allemand, précise d’emblée David Lefort. Il convient de la situer dans son époque de création, entre 1860 et 1870, au cœur du XIXe siècle. Il s’agissait, en fait, d’une musique de salon. Ces salons-là étaient des lieux où l’on jouait de la musique de chambre, mais aussi de la musique vocale accompagnée de piano. La poésie déclamée y avait également une place importante.” Ainsi, la spécificité de la mélodie française réside, selon le ténor, dans la relation intime entre le texte et la musique, mais également dans la langue française elle-même qui se distingue particulièrement de l’allemand et l’italien, sur un plan purement vocal.
Délicatesse et préciosité
“En évoquant la musique de salon, il convient de mentionner que, bien avant la mélodie, se trouve la romance, née au début du XIXe siècle et, à certains égards, déjà présente au XVIIIe siècle. Mozart, polyglotte et grand voyageur, composa des mélodies françaises sur des textes écrits en français, adoptant le mode de la romance, avec un accompagnement assez simple, suivant la forme refrain-couplet”, explique-t-il. Cette forme se retrouve cependant très rarement dans le lied allemand qui repose sur une construction plus intellectuelle. “Cela étant, la mélodie française possède une délicatesse et une préciosité qui, à mon sens, s’accordent parfaitement avec l’esprit de la musique de salon. Et elle se marie de manière idéale avec ce que nous créons à Beit Tabaris”, ajoute David Lefort.
Jeunesse musicale
Malgré les épreuves que le Liban a traversées et continue d'endurer, le ténor exprime sans réserve sa joie de retrouver le pays du Cèdre. Il y était venu pour la première fois en 2014 et y avait donné un concert avec petit ensemble vocal dirigé par Joël Suhubiette. Ils avaient alors mis en avant un programme éclectique, allant des œuvres de la Renaissance, telles que celles de Tomás Luis de Victoria, aux compositions contemporaines, notamment d'Alexandros Markeas, de Grèce, et de Zad Moultaka, du Liban. “Toutefois, je connais Zeina depuis les années 1990, lorsque nous faisions partie du même ensemble vocal. J'ai suivi avec attention ses projets au Liban, notamment son engagement dans cette maison familiale qu'elle a su dynamiser, ainsi que son soutien précieux à la jeune génération musicale libanaise et son travail autour des compositeurs et compositrices du pays. Ce qu’elle fait m’intéresse profondément, et l’atmosphère du Moyen-Orient me fascine. C'est un véritable plaisir d’être ici et de partager mon expertise avec les jeunes”, conclut-il.
Le concert de clôture de la masterclass se tiendra le samedi 22 février, à 19h, à Beit Tabaris. Il convient toutefois de souligner qu'en raison de la forte demande, toutes les places ont d'ores et déjà été réservées. Un autre concert, dédié à la direction de chœur avec Olivier Plaisant, aura lieu le 1er mars à l'église Saint Maron, à Gemmayzé. Par ailleurs, plusieurs masterclasses sont programmées pour le mois d'avril: celle de flûte avec Yua Souverbie, du 22 au 27 avril, et celle de piano avec Frédéric Vaysse-Knitter, du 30 avril au 5 mai.
Commentaires