
Vingt ans après son Oscar pour The Pianist, Adrien Brody revient avec The Brutalist, un rôle inspiré de figures réelles. Entre immersion totale et métamorphose physique, il incarne des personnages marqués par la guerre et la résilience. Retour sur son parcours, ses méthodes et un clin d'œil aux Oscars 2025.
Adrien Brody possède ce don rare de s'évanouir entièrement dans ses personnages. Depuis sa consécration aux Oscars en 2003 – devenant à 29 ans le plus jeune “Meilleur acteur” – jusqu'à sa renaissance avec The Brutalist, il excelle dans l'interprétation d'hommes façonnés par la guerre. Son approche de méthode extrême l'a conduit à explorer les abîmes psychologiques de personnages brisés, capturant l'essence de leur humanité fragile.
Lorsque Polanski lui confia le rôle de Władysław Szpilman, virtuose juif polonais ayant traversé l'enfer de la Seconde Guerre mondiale, il ne pouvait imaginer l'abnégation avec laquelle l'acteur s'immergerait dans ce destin. Szpilman, musicien reconnu, voit son existence basculer en 1939 lors de l'invasion nazie. Prisonnier du ghetto de Varsovie, sa survie tient à d'improbables coïncidences, au courage de résistants polonais et à la sensibilité d'un officier allemand mélomane. Ce récit authentique offrait à Brody un défi sans précédent: incarner la dignité d'un homme dépouillé de tout, sauf de son art et de sa volonté de survivre.
Pour cette incarnation, Brody s'est métamorphosé jusqu'à l'épuisement, perdant 14 kilos et s'imposant un isolement social pour ressentir viscéralement la solitude du pianiste. Cette discipline spartiate, loin d'être un simple artifice, lui a permis d'atteindre une vulnérabilité émotionnelle rarement observée à l'écran. Son apprentissage acharné du piano lui permit d'interpréter lui-même certains passages musicaux du film, notamment des extraits de Chopin, ajoutant une couche supplémentaire d'authenticité à sa performance. Ce dévouement presque obsessionnel à la vérité du personnage transparaît dans chaque regard, chaque geste, façonnant une interprétation où l'acteur disparaît complètement derrière l'homme qu'il incarne. Sa performance, tout en retenue et en émotion contenue, lui valut une reconnaissance unanime et cette statuette dorée qui transforma sa carrière. Polanski lui-même salua cette métamorphose, affirmant avoir découvert chez Brody une capacité exceptionnelle à traduire la souffrance silencieuse et la résistance intérieure de son personnage.
Une nouvelle métamorphose
Deux décennies plus tard, Brody réapparaît dans un rôle qui, bien que fictif, puise dans des parcours historiques authentiques. The Brutalist, sous la direction de Brady Corbet, dépeint László Tóth, architecte hongrois juif, rescapé de la Shoah, tentant de reconstruire sa vie sur le sol américain. Si ce personnage est une création originale, il cristallise le destin tragique de nombreux architectes européens persécutés durant l'occupation nazie. L'œuvre explore les thématiques de l'exil, de la mémoire traumatique et de la reconstruction identitaire à travers le prisme de l’architecture, art de l’espace qui devient, sous les mains de Tóth, une forme de résilience concrète.
Le cinéaste justifie cette fiction en rappelant qu’aucun architecte juif européen n’a véritablement poursuivi sa carrière aux États-Unis après la Libération, la plupart ayant péri dans les camps. Pourtant, le film s’inspire de figures majeures comme Marcel Breuer et Louis Kahn, pionniers du mouvement brutaliste et de l’architecture moderniste d’après-guerre. Brady Corbet a déclaré avoir été fasciné par cette période où l’architecture, notamment le brutalisme avec ses structures massives en béton brut, tentait de répondre aux traumatismes collectifs par une forme artistique aux antipodes des esthétiques précédentes – un renouveau radical que Brody incarne avec une conviction poignante.
Pour incarner László Tóth, Brody s'est imprégné des principes de l'architecture brutaliste. Il a travaillé avec un coach en dialecte pour son accent hongrois, profitant du tournage à Budapest pour s'immerger dans l'authenticité locale. La post-production a affiné sa prononciation grâce à l'intelligence artificielle. Sans formation académique formelle, il a néanmoins façonné son personnage jusqu'au moindre détail physique: dos légèrement voûté, regard perçant et mélancolique, gestes d'une précision mathématique reflétant les traumatismes de Tóth.
Comme dans The Pianist, il donne vie à un homme marqué par l'Histoire, cherchant à reconstruire son identité et à laisser une empreinte durable dans un monde nouveau. Dans ces deux rôles, l’art devient un refuge, une manière de transcender les épreuves et de laisser une trace durable. Si Szpilman trouve du réconfort dans la musique, Tóth façonne le béton et les formes architecturales pour exister.
Les parallèles entre ces deux interprétations sont saisissants. D'abord, les traumatismes de la guerre: Szpilman survit à l'horreur du ghetto varsovien tandis que Tóth tente de se reconstruire après avoir fui l'Europe dévastée. Ensuite, l'art comme sanctuaire: la musique devient refuge pour le premier, l’architecture se fait renaissance pour le second. Enfin, l'engagement total de Brody qui, dans les deux œuvres, explore les cicatrices invisibles laissées par la guerre, transcendant le simple jeu d’acteur pour atteindre une vérité émotionnelle rare. Cette continuité thématique dans son œuvre révèle son intérêt pour les histoires de résilience et son désir de donner voix à ceux que l'Histoire a tenté de réduire au silence.
Un clin d’œil aux Oscars
Si l’Oscar 2003 reste mémorable pour la performance de Brody, il l’est aussi pour ce baiser impulsif imposé à Halle Berry – geste ayant suscité des réactions contrastées. Vingt-deux ans plus tard, aux Oscars 2025, Berry orchestre sa revanche avec finesse, prenant l’initiative d’embrasser Brody sur le tapis rouge devant les médias du monde entier, qualifiant ce geste de “baiser cadeau de retour”. Avec élégance, elle s’excuse préalablement auprès de Georgina Chapman, compagne de l’acteur, qui accueille cette plaisanterie avec grâce. Ce moment complice transforme une controverse passée en anecdote légère, témoignant de l’évolution d’Hollywood dans sa perception des interactions publiques et du consentement.
À travers The Pianist et The Brutalist, Adrien Brody confirme sa maîtrise de l’art de l’immersion. Son génie réside dans cette faculté à s’effacer derrière ses personnages, rappelant ainsi les transformations de Daniel Day-Lewis ou Robert De Niro. Qu’il incarne un musicien rescapé ou un architecte en quête de reconstruction, Brody apporte une profondeur qui transcende l’écran et résonne longtemps après le générique. Par son jeu d’une authenticité bouleversante, il s’impose comme l’un des interprètes les plus remarquables de sa génération, transformant chaque rôle en expérience viscérale, tant pour lui-même que pour le spectateur.
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