
Depuis son indépendance, le Liban est une sorte de caisse de résonance de ce qui se passe chez son grand voisin. Damas a toujours lorgné sur cet impertinent et troublant Liban, par sa liberté et ses succès économiques. Il faut dire que malgré tout, le Liban a toujours, même aux pires moments, su préserver un minimum de démocratie politique.
Quant à Damas, les coups d’État se succédaient à un rythme effréné, jusqu’à l’arrivée de la dynastie Assad qui a brillamment choisi la voie du socialisme qui a ruiné le pays et fait fuir les capitaux. Ensuite, durant cinq décennies, le Liban n’était plus qu’une proie politique, économique et militaire d’un régime qui s’est mué en mafia. Tout était bon pour maintenir le petit “frère” dans la vassalité. Occupation, racket à grande échelle, assassinats, guerres, trafics… rien n’a été épargné au Liban qui a vu s’installer une classe politique largement collaborationniste, servant les maîtres de Damas.
Et puis, soudain, tout a changé. Les Assad ont pris la fuite dans une sorte de Berezina inversée. Personne ne regrettera jamais le régime sanguinaire des Assad. Mais, il y a un mais. Monsieur El-Chareh parviendra-t-il à mettre en place la Syrie qu’il annonce? Démocratique, libérale, tolérante, pacifique. C’est vrai que chat échaudé craignant l’eau froide, beaucoup se posent des questions. Il n’y a aucune raison de mettre en doute les efforts du nouvel homme fort de Damas. Mais derrière lui, traîne une sorte d’internationale islamiste réunissant des milliers de miliciens venus des quatre coins des terres d’islam. Suivront-ils les directives venues d’en haut?
Mais ce n’est pas le plus dangereux. Les enjeux semblent tellement énormes qu’ils paraissent insurmontables. Le principal danger est aujourd’hui le démembrement possible du pays. Au nord-est, les Kurdes tiennent à leur autonomie, soutenus par les Américains. Ils sont, de facto, loin d’un État central. Au nord, toute la bande frontalière avec la Turquie semble devoir rester sous le contrôle des troupes d’Ankara.
Le littoral, à majorité alaouite, pourrait devenir une enclave contrôlée par la Russie, qui y possède déjà ses bases historiques, avec la bénédiction de Washington. Au sud, l’influence israélienne aboutirait à une zone druzo-sunnite démilitarisée, soit sans présence militaire de Damas. Resterait le centre, à majorité sunnite, qui serait le rempart contre tout retour d’un axe iranien vers la Méditerranée et le Liban. Les chrétiens de Syrie, ou ce qu’il en reste, n’ayant pas de zone géographique viable et clairement définie, seraient les oubliés d’une partition éventuelle, pudiquement appelée fédération. Pour le moment, cette hypothèse est exclue aussi bien par l’État syrien que par les pays arabes et occidentaux. Mais rien n’est jamais impossible dans cette région. Dans tous les cas de figure, le Liban ne peut qu’être affecté par la future configuration géopolitique syrienne. Un État central, fort et respectueux de ses voisins, serait l’idéal. Une fédération chaotique fragiliserait l’inconfortable équilibre libanais qui n’a vraiment pas besoin de cela.
La phase d’attente se prolonge, les deux millions de réfugiés syriens présents au Liban n’ont pas l’air de se bousculer pour rentrer dans leur pays. Bien au contraire, de nouveaux réfugiés, pro-Assad, sont venus grossir leurs rangs. Ils seraient déjà 80.000.
Napoléon Bonaparte disait: “La politique d’un État est dans sa géographie.” De ce point de vue, on peut dire que nous sommes gâtés.
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