L'égalité des genres au Liban: des progrès malgré les obstacles
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Le Liban a réalisé des progrès notables en matière d'égalité des genres ces dernières années, mais le chemin vers un changement réel et durable reste semé d'embûches. La Commission nationale de la femme libanaise (CNFL*), fondée par la loi 720/1998, a joué un rôle central dans la promotion des réformes en faveur des droits des femmes. Toutefois, les avancées ont été inégales, souvent freinées par des priorités politiques changeantes.

En 2016, le gouvernement libanais a créé le Bureau du ministre d'État chargé des affaires de la femme, afin de se concentrer sur les réformes législatives et d'encourager la participation des femmes en politique. Cependant, ce bureau a été dissous en 2019 et remplacé par le ministère d'État pour l'autonomisation économique des femmes et des jeunes, qui a été fermé en 2020. Cette situation soulève une question essentielle: un ministère dédié aux droits des femmes est-il indispensable?

 

Le cadre juridique: des progrès, mais des limites

La Constitution libanaise garantit l'égalité devant la loi pour tous, mais ne reconnaît pas explicitement l'égalité des sexes, laissant ainsi les droits des femmes insuffisamment protégés. Bien que les femmes puissent participer activement aux secteurs économiques, le cadre juridique n'assure pas leur égalité dans tous les domaines.

 

Les femmes dans le monde du travail: des progrès, mais des obstacles persistants

Le Code du travail libanais de 1946 interdit la discrimination fondée sur le genre en milieu professionnel, et un amendement de 2000 à l'article 26 a renforcé les protections. Cependant, la loi ne prévoit aucune sanction en cas de violation, et la discrimination à l'embauche reste non régulée. Par ailleurs, certains secteurs, comme la fabrication, l'exploitation minière et la construction, restent largement fermés aux femmes en raison des restrictions imposées par l'article 27 de la loi.

Bien que les amendements apportés en 2019 au Code du commerce libanais permettent aux femmes mariées de gérer des entreprises de manière autonome, l’influence des tribunaux religieux persiste encore dans le droit commercial. Malgré ces avancées législatives, les femmes dirigent ou possèdent moins de 9% des entreprises au Liban, ce qui montre que les réformes légales à elles seules ne suffisent pas à réduire l'écart entre les sexes dans l’entrepreneuriat.

 

Les engagements internationaux du Liban: des lacunes dans les réformes légales

Le Liban a ratifié la Cedaw (Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes) le 21 avril 1997, mais a émis des réserves sur des points clés, tels que l'égalité des droits en matière de nationalité, le droit de la famille et le règlement des conflits internationaux. Ces réserves ont entravé les réformes légales et limité la capacité du Liban à honorer pleinement son engagement en faveur de l'égalité des genres.

 

L’influence religieuse sur le statut personnel: entre tradition et égalité

Bien que la Constitution libanaise consacre le principe d’égalité, l’article 9 permet aux communautés religieuses de régir le mariage, le divorce et l’héritage selon leurs propres lois. Cette disposition a donné lieu à l’existence de 15 lois distinctes sur le statut personnel, créant de profondes inégalités dans les droits des femmes selon leur confession.

 

Violence domestique et sécurité sociale: des avancées, mais des défis persistent

Le Liban a franchi une étape importante dans la lutte contre la violence domestique avec l’adoption de la loi n° 293 de 2014, destinée à protéger les femmes et les familles contre les abus. Cependant, l'application de cette loi est souvent limitée par la primauté des lois religieuses sur le droit civil, ce qui restreint l'efficacité de la protection. Un amendement de 2020 a renforcé le cadre législatif, mais l'influence des tribunaux religieux reste un obstacle majeur.

En 2023, une loi a été votée pour garantir l’égalité des droits dans le système de sécurité sociale, offrant ainsi aux femmes les mêmes prestations que les hommes. Cependant, la mise en œuvre de cette loi demeure un défi important.

 

Harcèlement sexuel, droit à la nationalité et inégalités persistantes

En 2020, le Liban a franchi une étape importante en criminalisant le harcèlement sexuel avec la loi n° 205, l’une des premières du monde arabe. Cependant, bien que cette loi se concentre sur les sanctions, elle reste incomplète, car elle ne prévoit aucune obligation pour les employeurs d’adopter des mesures préventives contre le harcèlement. De plus, les victimes risquent souvent de perdre leur emploi après avoir signalé des abus.

Les femmes libanaises ne peuvent toujours pas transmettre leur nationalité à leurs enfants ou à leur conjoint étranger, ce qui engendre des situations où de nombreux enfants se retrouvent apatrides et privés d'accès à des services essentiels tels que l'éducation et la santé.

De plus, le Code pénal ne criminalise toujours pas explicitement le viol conjugal, et les normes sociales imposent fréquemment des sanctions plus sévères aux femmes qu’aux hommes en cas d’adultère, illustrant ainsi des discriminations persistantes dans la société.

 

L’avenir de l’égalité des genres au Liban

Au Liban, la société civile demeure un acteur clé dans la lutte pour l’égalité des genres, avec plus de 6.000 organisations engagées dans les causes sociales, dont un grand nombre défend les droits des femmes. Les campagnes de sensibilisation et les initiatives de recherche ont permis d’obtenir des avancées législatives notables. Lors des élections de 2018, 113 femmes se sont portées candidates, un progrès considérable comparé aux 12 candidates en 2009. Pourtant, avec seulement six élues, le chemin reste long.

Malgré ces avancées, des barrières juridiques et sociales profondément ancrées continuent d’entraver l’égalité des genres. La véritable question demeure de savoir si les législateurs iront au-delà des mesures symboliques pour s’attaquer aux inégalités structurelles qui freinent encore les droits des femmes. L’avenir de l’égalité dépendra de la volonté politique à démanteler ces obstacles et à faire des droits des femmes une réalité tangible.

 

 

La CNFL poursuit son action en faveur de l’égalité des genres en conseillant le gouvernement, en collaborant avec la société civile et en intégrant la question du genre dans les politiques nationales. Elle collecte également des données sur les inégalités pour les rapports internationaux et veille à ce que le Liban respecte la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw). Parmi ses réalisations, on compte le Plan d’action national pour la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies (2019-2022) visant à accroître la participation des femmes dans le dialogue politique, les forces de sécurité et la résolution des conflits. La CNFL a aussi été essentielle dans l’adoption de lois sur les violences domestiques et le harcèlement sexuel.
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