Un tournant historique pour le Liban : Simon Karam nommé par J. Aoun au comité de surveillance du cessez-le-feu
©Ici Beyrouth

La décision est tombée, mercredi matin, avec la force d’un événement historique. La nomination, par la présidence de la République, de Simon Karam comme représentant du Liban aux réunions du comité de surveillance du cessez-le-feu, marque un tournant inédit où la diplomatie civile prend le pas sur le seul registre militaire. Elle offre également au pays une occasion rare: faire évoluer un fragile cessez-le-feu vers un dialogue politique concret avec Israël et, à terme, poser les fondations d’une paix durable.

Il faut dire que pour la première fois depuis la conclusion de l’accord de trêve instauré le 27 novembre 2024 entre le Hezbollah et Israël, le Liban confie ce dossier ultrasensible à une personnalité civile. Il s’agit d’un geste inédit, d’autant plus remarquable que la réaction israélienne n’a pas tardé. Le bureau du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, s’est, en effet, empressé de saluer cette désignation comme «une première démarche visant à jeter les bases de futures relations et d’une coopération économique» entre les deux pays. Dans la foulée, Jérusalem a annoncé l’envoi d’un représentant (Uri Resnick, titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’Université hébraïque de Jérusalem, selon les médias israéliens) pour rencontrer des responsables politiques et économiques au Liban.

Il faut dire aussi que ce choix intervient au lendemain d’un moment lourd de symboles. Lors de sa visite de trois jours à Beyrouth, le pape Léon XIV a appelé le Liban à choisir la paix, invité le Hezbollah à remettre ses armes et plaidé, au nom de l’Église, pour un dialogue courageux capable de rompre le cycle de la violence.

C’est donc dans cette atmosphère encore chargée de l’influence papale qu’une réunion cruciale du «mécanisme» s’est tenue mercredi matin à Naqoura. Autour de la table figuraient l’envoyée spéciale américaine, Morgan Ortagus, une délégation de l’armée libanaise, l’ancien ambassadeur Simon Karam, des représentants français et américains, ainsi que de la partie israélienne, avec la participation des forces de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (Finul). L’élément le plus remarquable demeure toutefois la présence conjointe d’un civil libanais et d’un civil israélien, rencontrés officiellement pour la première fois.

Pourquoi maintenant ?

Le déplacement de Morgan Ortagus à Tel-Aviv, puis à Beyrouth, a renforcé l’impression que Washington exige désormais un virage clair de l’État libanais. Depuis des mois, les États-Unis insistent sur la nécessité de faire entrer un civil libanais à la table du «mécanisme», estimant qu’un dialogue strictement militaire ne peut ni ouvrir la voie à de véritables avancées, ni préparer un cadre politique durable. Cette fois, Beyrouth a tranché: l’un des profils les plus aguerris du pays a été intégré au comité de surveillance, répondant ainsi à une requête américaine répétée.

Cette décision n’a donc rien d’une formalité administrative. Si elle s’inscrit dans une dynamique de pressions américaines constantes, elle s’enracine aussi dans un moment local particulièrement chargé, où les avertissements internationaux se multiplient et où le Liban, affaibli et fragmenté, ne peut plus différer indéfiniment ses choix stratégiques. À cela s’ajoute une donnée essentielle: la fin de l’année approche, et avec elle l’échéance que Beyrouth s’était lui-même fixée. D’ici la fin 2025, avait annoncé le pouvoir libanais, la question des armes devait être «résolue». Or ce calendrier, longtemps perçu comme abstrait, commence désormais à s’imposer dans le réel. Le temps s’accélère et les marges de manœuvre se rétrécissent. Sur le terrain, et selon une source militaire, l’armée libanaise doit publier prochainement un rapport sur l’état d’avancement au Liban-Sud, malgré des frappes israéliennes ciblées qui devraient se poursuivre en sourdine.

C’est dans ce contexte que Farès Souhaid, ancien député et président du Rassemblement de Saydet el-Jabal, voit dans la nomination de Simon Karam «un grand tournant dans l’histoire de la République». Rester en dehors des clivages lui donne par conséquent, et selon M. Souhaid, cette capacité d’être accepté par tous.

Il rappelle, à cet égard, que le président Joseph Aoun avait déjà amorcé, dans ses discours récents, un glissement significatif, en indiquant le 18 novembre que «la branche militaire du Hezbollah n’existe plus» et en laissant entendre que le Liban était prêt à aborder une véritable négociation politique avec Israël. Des propos audacieux, critiqués par certains, salués par d’autres, mais qui trouvent aujourd’hui leur prolongement dans un geste institutionnel sans équivoque.

Pourquoi Simon Karam ?

La réponse tient autant à son parcours qu’à ce qu’il incarne. Ancien ambassadeur du Liban à Washington dans les années 1990, Simon Karam s’était distingué par son refus de céder aux pressions de l’ambassade syrienne, préservant une indépendance alors rarissime. Proche de la mouvance souverainiste, il avait contribué à l’élaboration du Rassemblement de Kornet Chehwan (en 2001, ce rassemblement de personnalités politiques chrétiennes s’est constitué, sous l’égide du patriarche maronite Nasrallah Sfeir, dans le contexte de la montée de l’opposition libanaise à la tutelle syrienne) et de la mouvance du 14 mars. Son retrait volontaire de la vie publique lui confère aujourd’hui une crédibilité transversale.

Interrogé par Ici Beyrouth, Farès Souhaid qualifie Simon Karam de «diplomate et d’homme politique capable de comprendre les équilibres internes du pays tout en portant, dans cette phase, un symbolisme précieux pour la préservation du pluralisme libanais».

Sa présence à Naqoura modifie déjà la nature du dialogue. En intégrant un civil, le Liban accepte d’abandonner le strict prisme sécuritaire au profit d’un terrain politique plus large. «Réduire les négociations à des échanges militaires, c’est se limiter à l’immédiat. Introduire une personnalité politique, c’est reconnaître l’existence de finalités économiques et stratégiques», explique M. Souhaid. Puis d’ajouter, dans un souffle: «Est-ce que cela nous épargnera une guerre ? Je l’espère».

L’enjeu est donc bien là: élargir l’horizon, ouvrir la possibilité d’un cadre plus stable et signifier que Beyrouth s’accroche au mécanisme tout en amorçant une forme de négociation bilatérale politique. 

Ce qui est toutefois certain, c’est que dans un pays où le mot «paix» a été prononcé vingt-sept fois dans le discours du pape Léon XIV du 2 décembre 2025, cette nomination ressemble, pour beaucoup, à une fenêtre inédite qui s’entrouvre, dans un Liban qui aspire, plus que jamais, à sortir du cycle de la guerre et de la survie.

 

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