Les réformes économiques de MBS: succès ou dépendance persistante au pétrole?
Un homme se tient devant le pavillon de l'Arabie Saoudite lors du MIPIM, un événement international consacré aux professionnels de l'immobilier, au Palais des Festivals à Cannes, dans le sud-est de la France, le 11 mars 2025. ©VALERY HACHE/AFP

Depuis l’accession de Mohammad ben Salmane (MBS) au trône en 2015, l’Arabie saoudite a entrepris une série de réformes économiques ambitieuses, visant à réduire sa dépendance au pétrole et à diversifier ses revenus. Ces réformes s’inscrivent dans le cadre du plan Vision 2030, qui a pour objectif de transformer l'économie du Royaume et de positionner l'Arabie saoudite comme une puissance économique mondiale moderne et diversifiée. Cependant, malgré des progrès indéniables dans certains secteurs, la question demeure: l’Arabie saoudite parvient-elle réellement à se détacher de son économie pétrolière ou reste-t-elle largement tributaire de l'or noir?

La diversification des revenus: un chemin semé d'embûches

Le pétrole a longtemps été le pilier économique de l'Arabie saoudite, représentant entre 70 et 80% des recettes publiques et 90% des exportations. Cependant, au vu de la volatilité des prix du pétrole et des pressions internationales pour une transition énergétique, MBS a lancé un programme de diversification économique appelé Vision 2030, avec des initiatives visant à promouvoir des secteurs tels que le tourisme, l’industrie du divertissement, les technologies et les énergies renouvelables.

L’un des projets les plus emblématiques de cette aspiration est la création de Neom*, une mégalopole futuriste dans le nord-ouest du pays, qui devrait être un centre technologique et une zone de libre-échange. Cette ville, qui ambitionne d'être un modèle de durabilité et d'innovation, est une vitrine du projet de diversification de l'Arabie saoudite. Cependant, la concrétisation de ces ambitions reste incertaine et Neom n'a pas encore atteint ses objectifs initiaux, les défis d'investissement et les tensions géopolitiques dans la région freinant son développement. 

Interrogé par Ici Beyrouth, l’ancien ambassadeur de France en Arabie saoudite, Bertrand Besancenot, rappelle que pour The Line, le projet iconique de Neom, MBS a dû restreindre ses ambitions pour l’échéance 2030. Au départ, cette ville intelligente devait être construite sur 170 kilomètres et abriter 1,5 million d’habitants, dans la province de Tabuk, en plein milieu du désert, avec zéro émission de gaz carbonique. “Aujourd’hui, des 170 kilomètres, Riyad n’a l’intention que d’en construire 2,4 pour 300,000 résidents, d’ici à 2030”, affirme M. Besancenot.  

“Il faut dire que les grands projets ont démarré simultanément et rapidement”, souligne l’ancien ambassadeur. “Quoiqu’elle soit très engagée dans une mission énergétique, l’Arabie demeure encore très dépendante de l’or noir, surtout que 41% du PIB dépend des hydrocarbures et qu’environ 70% des recettes de l’État proviennent du pétrole”, précise-t-il. Et d’ajouter: “Les cours du brut sont aujourd’hui estimés à 70 dollars le baril. Or, et afin de pouvoir faire avancer les projets, le besoin réel en la matière est d’au moins 90 dollars le baril, ce qui les oblige à freiner quelque peu l’ensemble du dispositif, les priorités allant désormais dans la perspective de l’exposition universelle qui devrait se tenir en 2030, et du mondial de football, quatre ans plus tard, soit en 2034”.

À la recherche d’autres ressources 

Parallèlement, le Royaume a cherché à stimuler le secteur privé et à attirer des investissements étrangers. “Des réformes législatives ont été mises en place pour améliorer le climat des affaires, notamment en facilitant les investissements étrangers, en assouplissant les restrictions sur la propriété étrangère dans certains secteurs et en modernisant le système judiciaire”, indique-t-on de source proche du dossier. Ces efforts ont porté leurs fruits dans certaines industries, comme celle du tourisme. “L’Arabie saoudite a ainsi enregistré des hausses significatives du nombre de visiteurs étrangers, notamment grâce au développement de sites touristiques religieux comme la Mecque et Médine, ainsi qu’aux initiatives de loisirs et de divertissement, comme le Riyadh Season”, poursuit-on de même source. 

Malgré ces initiatives, le secteur de l’or noir reste prédominant dans l'économie saoudienne. Les revenus pétroliers continuent de représenter une grande partie du budget de l’État, et bien que des secteurs non pétroliers aient connu une croissance, ils n’ont pas encore suffi à compenser la volatilité des recettes issues du pétrole. La diversification reste donc un objectif à long terme, avec des résultats qui demeurent relativement modestes.

Fonds souverain (PIF) et investissements mondiaux

Un autre pilier de la stratégie de diversification du Royaume est le Fonds d'investissement public (PIF). Créé dans les années 1970, ce fonds souverain a connu une expansion majeure sous l’impulsion de MBS, qui a cherché à l'utiliser comme un instrument stratégique pour réduire la dépendance aux revenus pétroliers. L’objectif principal du PIF est de réinvestir les profits issus du pétrole dans des investissements internationaux à long terme, tout en soutenant les projets de diversification à l’intérieur du pays.

Le PIF est devenu un acteur clé des marchés financiers mondiaux, avec des investissements dans des entreprises de renom telles qu'Uber, Lucid Motors, SoftBank Vision Fund et Tesla, qui permettent à l’Arabie de se positionner en tant que force financière internationale et de générer des rendements qui pourraient, à terme, remplacer les recettes pétrolières. De plus, le PIF finance des projets dans des secteurs stratégiques pour l’Arabie saoudite, tels que le tourisme, les énergies renouvelables et les technologies de pointe.

“Le fonds est également devenu un levier pour les réformes économiques internes du Royaume”, souligne-t-on de source susmentionnée. “Des projets comme Neom, le Red Sea Project, ou encore le développement de Qiddiya (un projet de ville de loisirs) sont en partie financés par le PIF qui joue donc un rôle crucial dans la matérialisation des ambitions de MBS pour l'Arabie saoudite”, indique-t-on de même source.

Cependant, et selon une source diplomatique, ces stratégies d’investissement présentent des risques. “Certes ambitieux, les investissements à l’étranger sont exposés à la volatilité des marchés mondiaux”, précise-t-on avant de souligner que “le soutien du PIF aux entreprises technologiques et aux start-ups comporte un risque élevé si celles-ci échouent à se développer ou à devenir rentables”. 

Dans un autre registre, il convient de rappeler que le PIF dépend largement des recettes pétrolières pour alimenter ses investissements, ce qui le rend vulnérable à une chute des prix du pétrole. À cet élément, viennent s’ajouter le risque géopolitique et l'instabilité régionale, notamment au Moyen-Orient, qui peuvent aussi affecter la rentabilité de certains projets du fonds souverain, notamment ceux basés sur des partenariats internationaux.

Aujourd’hui, le chemin vers une économie totalement diversifiée, capable de résister aux fluctuations des prix du pétrole, semble encore long et semé d'embûches. Selon les observateurs, le Royaume devra continuer à innover et à renforcer ses investissements dans des secteurs non pétroliers tout en gérant les risques associés à ses stratégies d’investissement globales. Une question de temps qui permettra de déterminer si les réformes de MBS aboutiront à une transformation véritable ou si l’Arabie saoudite demeurera à la merci des aléas du marché pétrolier.

*Neom: composé de ‘neo’ pour nouveauté et de ‘m’ pour la première lettre du mot arabe ‘moustaqbal’, qui signifie avenir, comme expliqué dans l’ouvrage de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, "MBS Confidentiel, Enquête sur le nouveau maître du Moyen-Orient".
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