L’Annonciation, “fête nationale islamo-chrétienne”, une initiative qui peine à se populariser

C’est aujourd’hui le 25 mars, fête de l’Annonciation, fixée là neuf mois avant le 25 décembre, fête de la Nativité. La fête de l'Anonciation a été un peu “brouillée” dans l'esprit des Libanais par sa proclamation, en 2010, fête nationale islamo-chrétienne. Ce cumul des deux dimensions a dérouté l'opinion. Quelle est donc la genèse de cette "fête nationale" qui peine à faire son chemin dans les esprits?

Saint Luc nous livre une sobre et merveilleuse description de l’annonce faite par l’archange Gabriel à la Vierge Marie. Le narratif se trouve dans l’Évangile selon saint Luc. “Au sixième mois (de la grossesse, dans le grand âge, de sa cousine Elizabeth, que l’on croyait stérile) l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu, dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David, et le nom de la vierge était Marie. Et, entrant chez elle, il dit: Réjouis-toi, comblée de grâce! Le Seigneur est avec toi. À cette parole, elle fut toute bouleversée et elle se demandait ce que pouvait être cette salutation. Et l’ange lui dit: Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein, et tu enfanteras un fils et tu l'appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut (…). Marie dit à l’ange: Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme? Et l’ange lui répondit: L’Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c’est pourquoi l’enfant sera saint et sera appelé Fils de Dieu. (…) Marie dit alors:  Je suis la servante du Seigneur: qu’il m’advienne selon ta parole! Et l’ange la quitta.” Le récit de l’Annonciation est repris par le Coran dans la Sourate 45.

D’accord sur le premier segment de l’annonce faite à Marie et sur la conception virginale de Jésus, les deux croyances diffèrent cependant sur la nature de l’enfant conçu. L’islam tiendra Jésus (Issa dans le Coran) pour un grand prophète, certes entouré de mystère, mais non de nature divine. Au concile de Nicée (325), Jésus sera doctrinalement proclamé “vrai Dieu né du vrai Dieu” et au Concile d’Ephèse  (431), sa mère sera proclamée “Mère de Dieu”.

Un incident familial

C’est sur ce socle théologique que Mohammad Nokkari, sunnite de Beyrouth, juge et professeur de droit islamique à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, ainsi qu’à Dubaï et Strasbourg, a eu l’idée de greffer une “fête nationale islamo-chrétienne” en tant que facteur de cohésion sociale et nationale au Liban.

L’idée avait germé dans son esprit à l’occasion d’un incident familial. Marié avec une Française bretonne, Mohammad gardait, à son domicile, une statue en plâtre de la Vierge. La présence de cette statuette mettait régulièrement en fureur un homme de sa parenté, qui en arriva un jour à la briser. Ayant réparé ce geste reflétant à ses yeux une grande ignorance de la place occupée par Marie dans le Coran, Mohammad en vint à rêver de l’instauration d’une “fête” qui donnerait l’occasion aux musulmans et aux chrétiens du Liban de vénérer ensemble la Vierge Marie, en particulier la naissance virginale de son enfant. Il en parla au père Louis Boisset s.j., alors doyen de la Faculté des sciences religieuses de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth. Ce dernier n’y vit “aucune objection doctrinale”.

“Au départ, précise-t-il, nous avions pensé faire coïncider la célébration islamo-chrétienne de Marie avec la fête de l’Immaculée Conception (8 décembre), mais ensuite, on changea d’idée, compte tenu du fait que les chrétiens orthodoxes n’ont pas défini le dogme de l’Immaculée Conception de Marie.”

La première célébration islamo-chrétienne de la solennité de l’Annonciation fut accueillie au Collège Notre-Dame de Jamhour en 2007. Un comité fut formé, “Ensemble autour de Marie Notre-Dame”, pour développer cette manifestation, qui fut bien accueillie dans certains pays d’Europe et d’Orient. Les responsables politiques furent impressionnés par l’initiative et, en 2010, le Premier ministre, Saad Hariri, proclama le 25 mars fête nationale.

Tensions à Dar el-Fatwa et démission

“À cette époque, rappelle Mohamad Nokkari, j’étais secrétaire du mufti de la République, à Dar el-Fatwa. Mon initiative créa des tensions qui conduisirent à ma démission. Alors que dans les milieux politiques, l’initiative fut accueillie sans hostilité, au sein des communautés religieuses, elle suscita la méfiance de certains qui y virent l’expression d’un syncrétisme. Les principales oppositions vinrent des groupes salafistes et wahhabites, ce qui peut se comprendre. La célébration de la Vierge Marie dans l’Islam est loin d’avoir la place centrale qu’elle occupe dans le christianisme. De plus, l’islam refuse à Marie le titre de Mère de Dieu, qui doit lui être particulièrement cher. Ce fossé dogmatique ne sera jamais comblé entre les deux religions.

Avec le recul des années, on constate que les termes “Fête nationale islamo-chrétienne” sont une aporie qu’il faudrait peut-être corriger, dit-on dans certains milieux. Une “fête” ne peut être à la fois civile et religieuse dans un pays comme le Liban où il y a séparation entre la religion et l’État. On ferait donc mieux de laisser l’Annonciation à l’Église et de proclamer cette fête chrétienne “Journée de l’amitié islamo-chrétienne”. En compartimentant plus clairement les deux occasions, les accusations de “syncrétisme” seraient moins faciles à porter. 

Aujourd’hui, dans différentes églises, lieux de culte et centres, à Beyrouth et Jbeil, en particulier, chrétiens et musulmans vivront ensemble, vaille que vaille, des actes de vénération vis-à-vis de Notre-Dame, mais comment faire pour que le 25 mars reçoive un écho moins protocolaire et pénètre plus profondément dans la culture populaire? Voilà la question qui hante en ce moment ceux qui, avec Mohammad Nokkari, veulent renforcer les liens d’amitié et de fraternité qui unissent chrétiens et musulmans, à l’heure où le bruit des armes menace de couvrir tous les autres.

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