
Lors d'une séance tenue au palais de Baabda et présidée par le chef de l'État, Joseph Aoun, le Conseil des ministres a nommé Karim Souhaid gouverneur de la Banque du Liban (BDL). Il a été élu à l’issue d’un vote ministériel, recueillant 17 voix sur 24, malgré une forte opposition du Premier ministre, Nawaf Salam, et de ses ministres. M. Souhaid succèdera ainsi au gouverneur par intérim, Wassim Mansouri, en poste depuis la fin du mandat de Riad Salamé, le 31 juillet 2023. Conformément à l'article 18 du Code de la monnaie et du crédit, le gouverneur de la banque centrale est nommé pour un mandat de six ans par décret du Conseil des ministres, sur proposition du ministre des Finances. Par conséquent, M. Salam est désormais tenu de signer le décret de nomination de M. Souhaid, malgré son désaccord, d’autant plus que cette nomination a été approuvée par les deux tiers des membres du gouvernement.
Le gouverneur de la BDL est le principal architecte de la politique monétaire et, en collaboration avec le Conseil central, il supervise et régule le secteur bancaire. Il jouera un rôle crucial dans la restructuration des banques et dans les négociations avec les institutions financières et internationales pour élaborer un plan de redressement économique.
Doté de larges pouvoirs, il assure la gestion et le bon fonctionnement de la BDL, veille à la stabilité monétaire et applique le Code de la monnaie et du crédit ainsi que les décisions du Conseil central. La loi le désigne comme représentant légal de la banque, habilité à signer tous les actes, contrats et accords en son nom. Il a également autorité pour engager des actions en justice et prendre les mesures qu’il juge nécessaires, y compris en matière de garanties immobilières.
La BDL, fondée en 1963, est la banque centrale de la République libanaise. Ses activités ont commencé le 1er avril 1964 et elle veille depuis à la gestion de la politique monétaire, à la stabilité de la livre libanaise et à la régulation du secteur bancaire. Au fil des décennies, plusieurs gouverneurs se sont succédé, jouant un rôle clé dans l’orientation des finances du pays.
Philippe Takla a été le premier gouverneur de la BDL (1963-1967), tout en occupant parallèlement le poste de ministre des Affaires étrangères. Son mandat a été marqué par la crise de la banque Intra. Elias Sarkis lui a succédé (1967-1976), sous la direction duquel Beyrouth s’est imposée comme un centre financier régional. M. Sarkis a également initié la création d’institutions majeures comme la Commission de contrôle des banques et la Haute autorité bancaire, tout en consolidant les réserves d’or de la BDL.
Le troisième gouverneur de la BDL fut Michel el-Khoury, en poste de 1978 à 1985. Son mandat a coïncidé avec l'invasion israélienne de 1982 et le début de l’effondrement monétaire, provoquant une dépréciation marquée de la livre libanaise. Il a été remplacé par Edmond Naïm, qui a occupé la fonction de 1985 à 1991. Ce dernier a dû faire face à de grandes difficultés liées à la crise politique, sécuritaire et économique du pays, avec une chute importante des dépôts bancaires et une dollarisation massive de l'économie. Sous sa direction, la dévaluation de la livre libanaise s’est accélérée, un phénomène qui s’est intensifié pendant le second mandat de Michel el-Khoury (1991-1993), après la fin de la guerre du Liban.
Il convient aussi de mentionner Joseph Oughourlian, vice-gouverneur, qui a assuré l’intérim à plusieurs reprises entre 1963 et 1987, jouant un rôle essentiel dans l’élaboration du Code de la monnaie et du crédit.
En 1993, Michel el-Khoury démissionna sous la pression de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, et Riad Salamé prit la direction de la BDL. Contrairement à ses prédécesseurs, Riad Salamé est resté en poste pendant 30 ans, ayant été reconduit à quatre reprises et devenant ainsi le gouverneur de banque centrale ayant exercé le plus long mandat au monde. Son mandat débuta sous le signe de la stabilité monétaire, mais avec l’éclatement de la crise financière, monétaire et bancaire en 2019, le Liban entra dans une période de déclin économique sans précédent.
Au terme du mandat de Riad Salamé, et pour éviter toute vacance, Wassim Mansouri, premier vice-gouverneur, a assuré l’intérim à la tête de la BDL à partir de juillet 2023 jusqu'à la nomination de Karim Souhaid en tant que gouverneur. Sous son mandat, la stabilité monétaire a été en grande partie maintenue. La BDL a cessé de financer l'État, mettant fin aux plans de soutien et aux avances, tout en poursuivant l’émission de circulaires qui ont permis de restituer une partie importante des dépôts. Ces circulaires ont récemment été étendues et, pendant son mandat, la BDL a pu rembourser près de 3,6 milliards de dollars de dépôts. De plus, la BDL a réussi à reconstituer une partie de ses réserves étrangères, qui ont atteint 10.746 milliards de dollars au premier trimestre 2025.
Le 27 mars 2025, le gouvernement a nommé Karim Souhaid gouverneur de la Banque du Liban, à un moment où le pays fait face à des défis économiques et financiers majeurs, notamment la restructuration du secteur bancaire et la protection des droits des déposants. Dans ce contexte, les récentes déclarations du ministre des Finances, Yassine Jaber, ont été rassurantes, écartant toute possibilité de redressement impliquant la perte des dépôts. L’objectif est désormais de mettre en place un plan de remboursement progressif, en priorité pour les petits déposants, avant d’élargir le processus selon un calendrier précis. Karim Souhaid, entouré de son équipe, devra évaluer la situation du secteur bancaire et proposer des solutions appropriées pour résoudre la crise des déposants. Toute approche de cette crise devra se concentrer sur la relance de l’économie libanaise, en préservant le secteur bancaire et en rétablissant la confiance des déposants.
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