
Une grande exposition au musée du Jeu de Paume à Paris explore les impacts de l’intelligence artificielle à travers l’art. Œuvres visuelles, installations interactives et critiques sociétales interrogent la place grandissante de l’IA dans notre monde.
De ses origines à ses usages actuels, en passant par son infrastructure : l'intelligence artificielle (IA) et ses enjeux éthiques, politiques et sociétaux sont au centre d'une exposition qui débute vendredi au musée du Jeu de Paume à Paris.
Une cinquantaine d'œuvres, dont des photographies, des sculptures ou des courts-métrages, souvent réalisées avec l'aide de l'IA et exposées jusqu'en septembre, interrogent cette technologie qui bouleverse notre rapport au réel.
Présente depuis près de 70 ans dans le domaine scientifique, l'intelligence artificielle est devenue concrète pour le grand public en 2022 avec l’irruption sur la scène mondiale de ChatGPT.
"Les algorithmes d'IA effectuent des opérations de façon de plus en plus autonome, après avoir été entraînés avec d'énormes masses de données, de textes, d'images, et s'infiltrent partout dans la société, de manière très discrète", explique à l'AFP Antonio Somaini, commissaire de l'exposition.
"Regarder ce qui se passe dans les images, la culture visuelle et l'art contemporain est une des manières les plus visibles et accessibles de réfléchir à l'impact de l'intelligence artificielle sur nos sociétés", ajoute-t-il.
Contre "la boîte noire"
Baptisée "Le monde selon l'IA", l'exposition met ainsi à nu "la boîte noire" que peut être cette technologie à travers un parcours divisé en onze sections thématiques.
C’est d’abord le mythe d’une intelligence artificielle "dématérialisée" qui vole en éclats avec un focus sur son infrastructure, à savoir des centres de données très énergivores et consommateurs d’eau.
Avec des héliogravures — des impressions photographiques sur du métal — de champs de pétrole autour de Los Angeles, l’artiste franco-suisse Julian Charrière met en lumière les énergies fossiles qui l’alimentent.
Sa sculpture "Metamorphism", fusion de cartes mères, processeurs, disques durs et câbles, attire pour sa part l’attention sur les déchets produits par le numérique.
Plusieurs diagrammes de la chercheuse Kate Crawford et du designer Vladan Joler, qui s’étalent sur des pans de murs entiers, cartographient les techniques et systèmes de pensée, de la Renaissance à nos jours, qui ont donné naissance à cette technologie.
L’installation interactive de l’Américain Trevor Paglen scanne et analyse, de son côté, le visage de chaque visiteur sur un écran géant pour l’associer à un groupe d’images issues d’ImageNet, jeu de données essentiel dans l’essor de l’IA dans les années 2010.
Autre thème important: la main-d’œuvre de l’ombre, souvent précaire, qui indexe et labellise les données nécessaires à l’entraînement des modèles d’intelligence artificielle.
La réalisatrice allemande Hito Steyerl "s’est rendue dans des camps de réfugiés au Kurdistan" pour recueillir les témoignages de ces "travailleurs du clic", qu’elle a retranscrits dans une vidéo de 13 minutes, détaille Antonio Somaini.
Hallucinations et co-création
L’exposition se penche aussi sur l’intelligence artificielle générative, capable de produire différents types de contenus sur simple requête en langage courant.
C’est le cas de "Quatrième mémoire", installation constituée d’images, vidéos et sculptures générées par l’IA du Français Grégory Chatonsky.
"J’ai nourri plusieurs intelligences artificielles avec des documents personnels, mes photographies, ma voix, mes textes, pour pouvoir continuer à produire des choses mais après ma mort", raconte à l’AFP l’artiste de 54 ans. "C’est une œuvre posthume de mon vivant".
Les visiteurs pourront notamment voir un film généré en temps réel montrant M. Chatonsky en tant qu’homme ou femme, dans d’autres villes, avec une autre couleur de peau, le tout accompagné de commentaires narrés par sa voix clonée par IA. "On ne voit jamais deux fois la même chose", assure-t-il.
Sans oublier la part belle faite aux bugs, appelés "hallucinations" de l’IA, lorsqu’il lui arrive de produire des poèmes sans queue ni tête.
Avec AFP
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