
Éreinté par la guerre contre Israël, orphelin de ses chefs historiques, le Hamas est parvenu à se doter d'une nouvelle hiérarchie, se protégeant derrière une opacité prudente sur fond de dissensions internes quant à son avenir à Gaza.
Le mouvement islamiste palestinien a replacé la question palestinienne au cœur du dossier proche-oriental en attaquant Israël, le 7 octobre 2023. Israël a riposté avec une vaste opération militaire qui, depuis 18 mois, l'a considérablement affaibli.
Exit Ismaïl Haniyé, chef de la branche politique, Mohammed Deif, chef de sa branche armée, Yahia Sinouar, architecte du 7-Octobre. Tous tués comme tant d'autres responsables, dans des bombardements, des assassinats ciblés et des combats.
Le mouvement, en particulier sa branche armée, les brigades Al-Qassam, demeure protégé par une culture digne d'un service de renseignement. «Le nom du chef d'Al-Qassam restera secret», assure une source proche des brigades.
Mais les observateurs contactés par l'AFP désignent Mohammed Sinouar, frère de Yahia, qui serait au cœur des décisions sur les négociations, la question des otages israéliens et la gestion de la branche militaire.
Ce patronyme, outre son expérience au sein d'Al-Qassam, lui confère une autorité certaine.
«La personnalité de Yahia Sinouar était assez singulière. Le fait d'être son frère lui donne cette légitimité un peu par capillarité, de la famille de celui qui est considéré comme un héros par les militants», relève Laetitia Bucaille, professeure de sociologie politique à l'Inalco, à Paris.
«Nature collégiale du pouvoir»
En dépit des objectifs d'éradication du Hamas, revendiqués par Israël, le mouvement a survécu à la guerre.
La perte de ses cadres «affecte sa force, mais temporairement», estime Yasser Abou Hein, fondateur de l'Agence de presse palestinienne Safa, basé à Gaza. «Les coups ne peuvent pas poser une menace existentielle (...). Israël ne pourra pas l'éliminer».
Un membre du bureau politique, sous couvert d'anonymat, décrit des décisions prises à la majorité, et des membres de ce directoire nommés par le Conseil de la Choura, sorte de parlement du mouvement.
«On ne va pas connaître les nouvelles têtes. Il y a la volonté de garder secret, désormais, les personnalités et de conserver une nature collégiale du pouvoir», explique Leila Seurat, du Centre arabe de recherches et d'études politiques de Paris (CAREP).
«Ce n'est pas un mouvement qui repose sur un leader charismatique».
Le mouvement, de fait, aura besoin de toutes ses têtes pensantes pour dessiner son avenir après-guerre, sa capacité d'influence, ainsi que son rôle dans la bande de Gaza et dans la lutte du peuple palestinien.
Début mars, le Soufan Center, à New York, citait des sources selon lesquelles «le débat interne s'est intensifié au point où certains dirigeants politiques ont envisagé de rompre avec les dirigeants militaires du groupe à Gaza».
Moussa Abou Marzouq, cadre supérieur impliqué dans les négociations avec Israël, a même déclaré au New York Times fin février que de son point de vue, si le mouvement avait «anticipé ce qui s'est passé, il n'y aurait pas eu de 7-Octobre».
Leila Seurat souligne que le Hamas a toujours connu des dissensions depuis au moins une quinzaine d'années, notamment entre les cadres de Gaza et de l'étranger, «sur la vision stratégique, les printemps arabes, l'alliance avec l'Iran».
Mais même certains Gazaouis expriment désormais leur exaspération, après une guerre qui a réduit le territoire palestinien en poussière.
«Aucune concurrence»
Fin mars, quelques centaines de personnes ont manifesté contre le mouvement, seul maître à Gaza depuis 2007. «Hamas dehors», «Hamas terroriste» scandaient-elles, alors que des appels aux rassemblements circulaient sur Telegram.
«Il y a des Palestiniens qui souhaitent que le Hamas s'en aille. Il y en a qui lui ont toujours été opposés. Et il y en a qui sont juste excédés, tellement éprouvés qu'ils pensent que la seule chose qui leur reste, c'est de demander le départ du Hamas», note Leila Seurat. Mais ça ne prend pas».
Car quelles que soient ses difficultés, le mouvement ne souffre d'aucune concurrence dans la bande de Gaza. «Ils ont encore une poigne de fer. C'est eux qui contrôlent la situation», tranche Laetitia Bucaille.
Dès le début du cessez-le-feu en janvier, rompu depuis, des soldats et policiers du Hamas étaient ainsi apparus lourdement armés, impeccablement équipés. Incontournables.
Les Gazaouis «n'ont pas les moyens de s'y opposer de quelque manière que ce soit. Ils sont épuisés, et préoccupés par le fait de se trouver un toit et de manger», ajoute l'experte.
«Même si le Hamas a été affaibli, il n'y a rien qui s'oppose à sa force pour le moment».
Par Didier LAURAS avec Adel ZAANOUN/AFP
Commentaires