
Alors que le Liban entre dans une nouvelle phase de son histoire, les questions de sécurité restent au cœur des préoccupations. À Beyrouth comme à Tripoli, des efforts sont engagés pour améliorer la situation, dans un contexte marqué par des dynamiques locales contrastées, des réalités démographiques diverses et l’impact persistant de la crise économique.
En 2025, la population du Liban est estimée à environ 5,8 millions d’habitants. Beyrouth, la capitale, rassemble près de 2,4 millions de personnes, tandis que Tripoli, deuxième ville du pays, en compte environ 850.000. Ces données démographiques soulignent la concentration urbaine de la population dans des zones où les tensions sécuritaires sont les plus visibles.
Selon les indices internationaux de criminalité, Beyrouth affiche un niveau jugé modéré (46,75), tandis que Tripoli présente un indice plus élevé (55,19), traduisant une préoccupation sécuritaire accrue.
Les statistiques de criminalité des dernières années illustrent cette tension. D’après les données de Mohammad Chamseddine, analyste au sein d’Information International, une société de conseil en recherche, l’évolution des crimes entre 2024 et les premiers mois de 2025 témoigne de tendances contrastées à l’échelle nationale: en 2024, le Liban a enregistré 585 vols de voitures, 153 meurtres, 2.782 incidents de vol et 40 enlèvements contre rançon. De janvier à mars 2025, les chiffres révèlent des dynamiques mixtes: les vols de voitures sont tombés à 87 (contre 179 pour la même période en 2024), mais les meurtres ont augmenté (57 contre 50), tandis que les vols sont passés à 948 (contre 889) et les enlèvements à 10 (contre 8). Ces données confirment un climat d’insécurité généralisé, avec une criminalité fluctuante selon les catégories.
Dans les rues de Beyrouth et de Tripoli, les incidents de sécurité se multiplient: vols à l’arraché, vols de voitures, cambriolages… Selon Badih Karhani, expert en sécurité et conseiller au Centre de recherche sur le terrorisme à Paris,«la sécurité au Liban a besoin d’un renforcement structurel: les différents organes sécuritaires remplissent souvent des rôles qui ne sont pas les leurs. L’armée libanaise, par exemple, se substitue parfois aux Forces de sécurité intérieure (FSI), et ces dernières à la police municipale». Une confusion des fonctions qui s’explique, selon lui, par un manque de soutien financier et logistique qui s’est exacerbé avec la crise économique de 2020.
Tripoli, ville armée, ville oubliée
À Tripoli, deux grands problèmes préoccupent la population. D’une part, les armes individuelles qui alimentent des conflits réguliers. D’autre part, la surpopulation, nourrie par un afflux de personnes venues des villages environnants et de réfugiés syriens, crée une pression accrue sur les services urbains et sécuritaires. M. Karhani explique que, sur presque un million d’habitants, plus de la moitié ne sont pas originaires de Tripoli. «La plupart des crimes ne sont pas commis par des habitants originaires de cette ville», précise-t-il. Mais le sentiment d’insécurité reste omniprésent, et M. Karhani évoque «des rues désertées même en période de Ramadan».
L’expert souligne également le cercle vicieux dans lequel se trouve la ville: «Lorsqu'il est question de désarmement civil, beaucoup rétorquent: “Pourquoi devrions-nous rendre nos armes alors que le Hezbollah, la milice armée jusqu’aux dents, ne l’a pas encore fait?”».
Le pouvoir au Liban est engagé dans une nouvelle dynamique qui repose sur le désarmement de toutes les milices et la réédification de l’État. Depuis l’élection du président Joseph Aoun à la tête de la République et la formation d’un nouveau gouvernement, Tripoli semble bénéficier d’une attention accrue, et une meilleure coordination entre les différents services sécuritaires commence à se mettre en place. «Mais il faut aller plus loin, avec des peines plus fermes et moins de corruption interne», insiste M. Karhani.
De source de sécurité autorisée, on évoque également des défis structurels: «Nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens du bord. Les moyens logistiques restent limités, et les moyens financiers sont quasi inexistants», déplore cette source, rappelant que la crise économique continue d’entraver lourdement les capacités d’action.
Selon cette même source, certaines zones sont particulièrement touchées, «la banlieue sud de Beyrouth, notamment Haret Hreik, Achrafieh ou encore certaines localités du Metn». «Ces secteurs sont souvent pris pour cible en raison de leur configuration urbaine, propice aux fuites rapides, notamment à moto».
Beyrouth sous tension discrète
À Beyrouth, les problématiques sont différentes, mais tout aussi préoccupantes, indique Elie Sabbagha, moukhtar à Achrafieh, où une série d’agressions, contre des femmes notamment, se sont produites récemment. M. Sabbagha indique que la situation sécuritaire reste relativement stable, mais juge à son tour que «les ressources sont insuffisantes». «À Achrafieh, cinq femmes ont récemment été victimes de vols en une semaine seulement», souligne-t-il. Il mentionne également un autre incident, celui d'un livreur dont la moto a été volée en début de soirée. La municipalité de la capitale se retrouve fréquemment démunie: «Elle a besoin de postes de garde, de caméras ou au minimum de gardiens de quartier, comme par le passé. Les citoyens payent leurs taxes et attendent un retour de l’État», ajoute-t-il.
M. Sabbagha dénonce également des pratiques illégales, liées à la récupération de déchets, menées par des groupes qui fouillent les bennes à ordures dans la rue à la recherche de matériaux recyclables à revendre, laissant le reste éparpillé. Une situation qui nuit à l’environnement urbain, alimente un sentiment d’insécurité et entrave le travail des services de propreté déjà mis à mal par le manque de moyens de la municipalité.
Entre initiatives citoyennes et attentes étatiques
Face aux carences étatiques, certaines initiatives citoyennes émergent. À Achrafieh, l’association Achrafieh 2020 a lancé le programme «Neighbourhood Watch», qui vise à renforcer la vigilance communautaire. «C’est une initiative prometteuse, mais pas encore accessible à tous», admet M. Sabbagha.
À Tripoli, la réponse est plus directe: «Les habitants demandent un désarmement total de la ville et s’en remettent aux autorités. Ils veulent que le gouvernement prenne enfin ses responsabilités après des années de négligence», résume M. Karhani.
Crise économique, catalyseur de l’insécurité
Les deux intervenants s’accordent à dire que la crise socio-économique du pays est un facteur central de l’insécurité. M. Karhani rappelle que «la pauvreté alimente directement la criminalité. Mais cela ne doit pas servir d’excuse: des solutions existent, et l’État doit repositionner Tripoli sur la carte économique, notamment via son port et son centre d’exposition, la Foire Rachid Karamé». Il plaide également pour une collaboration accrue entre les différents services de sécurité, ainsi qu’une politique judiciaire plus ferme, capable de briser les réseaux d’impunité et de clientélisme.
Un quotidien contraint
Le sentiment d’insécurité pousse certains habitants, notamment les femmes et les enfants qui en sont les premières victimes, à adapter leur mode de vie. À Tripoli comme à Beyrouth, certains évoquent la peur de sortir le soir, l’inquiétude pour les enfants et une limitation volontaire des déplacements. «À Tripoli, l’image de la ville est amplifiée, négativement: un simple incident y est largement médiatisé, alors que le même fait ailleurs passe inaperçu. C’est une forme de stigmatisation qui alimente l’isolement», regrette M. Karhani.
La volonté affichée du président Aoun et du gouvernement de restaurer l’autorité de l’État est perçue comme un signe encourageant. «Il faut éradiquer les protections dont bénéficient certains criminels et renforcer la confiance entre la population et les forces de l’ordre», conclut M. Karhani.
Du côté des élus de Beyrouth, le message est clair: «Les citoyens sont prêts à s’acquitter de leur part, mais l’État doit répondre présent. Il est temps que les responsabilités soient prises, à tous les niveaux.
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