Sur un marché d'Irak, des vendeurs ambulants venus d'Iran pour fuir la crise
Une marchande iranienne est assise près de son étal au vieux marché de Bassora, dans le sud de l’Irak, le 28 mars 2025. ©Hussein Faleh / AFP

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Comme chaque vendredi, Alawi traverse la frontière iranienne pour entrer en Irak et écouler ses légumes sur un marché de Bassora dans le sud, une bouée de sauvetage pour des Iraniens confrontés à la crise économique et aux sanctions américaines.

Poulets congelés, œufs, légumes, geymar (crème épaisse), produits ménagers et huiles alimentaires : les prix sont bas et le passage du poste-frontière de Chalamcha un casse-tête, mais les bénéfices en valent la peine pour ces vendeurs ambulants.

« Côté iranien, la situation est difficile, avec l'embargo et tout », explique Alawi, 36 ans, rencontré au « marché du vendredi ».

Ce père de deux enfants, qui écoule depuis sept ans sa marchandise dans le centre-ville de la métropole portuaire de Bassora, vante la qualité des produits iraniens. L'hiver, il vend des dattes et du yaourt, l'été des bamias (cornes grecques ou gombos).

En une journée, il peut gagner de 50 000 à 75 000 dinars irakiens (35 à 50 dollars). "Quand on change la monnaie irakienne en Iran, ça fait beaucoup", note Alawi, qui ne donne que son prénom.

Au marché chez lui, "il n'y a pas d'acheteurs, les produits s'abîment, on les jette et on sort perdant".

"Bouée de sauvetage"

L'Iran vit sous le poids des sanctions rétablies par les États-Unis après leur retrait unilatéral en 2018 de l'accord sur le nucléaire lors de la première présidence de Donald Trump, qui a repris sa politique de « pression maximale » sur Téhéran depuis sa réélection.

L'économie iranienne ne s'en est jamais remise, avec depuis une hyperinflation à deux chiffres et une dépréciation continue de la monnaie nationale face au dollar.

Selon des statistiques iraniennes, les prix en mars ont augmenté de plus de 32,5 % sur un an, tandis qu'un dollar s'échange au marché noir à environ 1 million de rials, proche d'un record.

À Bassora, chaque vendredi, des dizaines de marchands iraniens débarquent avant l'aube, après un voyage éprouvant.

Cette concurrence déplaît à certains commerçants locaux qui sont "parfois mécontents", observe l'analyste Hayder Al-Shakeri. « Les forces de sécurité tentent régulièrement de déloger » les vendeurs iraniens, « qui reviennent inévitablement », décrit-il.

L'Iranienne Oum Mansour, 47 ans, se plaint du mauvais accueil au poste-frontière, comme bien d'autres compatriotes, qui disent être retenus pendant des heures avant de devoir parfois rebrousser chemin. « Ils nous houspillent, nous insultent », déplore-t-elle, mais sa journée au marché en Irak lui rapporte quatre fois plus qu'en Iran, où « il n'y a pas de gagne-pain ».

« Ce commerce transfrontalier informel est probablement une bouée de sauvetage pour de nombreux Iraniens », dit M. Shakeri.

Le phénomène, ancien, s'est accru en dix ans, « à mesure qu'augmentait l'impact sur la vie quotidienne des sanctions contre l'Iran ».

« Des revenus dans des devises plus stables, comme le dinar irakien ou même des dollars américains, apportent une protection financière contre l'inflation sévère et la dépréciation en Iran », explique l'analyste.

Les vendeurs viennent souvent d'Ahvaz, de Khorramshahr et d'Abadan, dans le Khouzestan, région frontalière où de nombreux habitants sont arabophones et « partagent des liens culturels » avec le sud irakien, précise-t-il. Il y a des chômeurs, des femmes et des seniors « gravement touchés par l'inflation et le ralentissement économique en Iran ».

"A bas prix"

Téhéran est un partenaire économique incontournable de Bagdad, et l'Irak est la deuxième destination des exportations iraniennes hors pétrole, avec des échanges commerciaux annuels dépassant les 10 milliards de dollars.

Depuis deux ans, Milad et sa mère traversent la frontière, et ne sont pas près d'arrêter : désormais, ils louent une échoppe.

En IIran,"le travail est difficile, la monnaie est faible", explique l'adolescent.

À 17 ans, ce fan du Barça (club de football du FC Barcelone, ndlr) a abandonné l'école. « Mon cousin a fini ses études, mais il ne travaille toujours pas. I« Iln'y a pas d'emplois" », it-il.

Chaque vendredi, l'Irakien Abou Ahmed vient lui au marché pour acheter des produits iraniens à "bas prix". « Ici la bamia est à 6. 00 dinars le kilo. À Zoubeir, c'est environ 20 000 dinars », justifie ce professeur de mathématiques quinquagénaire, mentionnant sa région en Irak.

Et "leur geymar est meilleur que le nôtre", s'amuse-t-il, ajoutant qu'il est aussi moins cher.

AFP

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