De Taëf à Oman, le bras-de-fer final sur les armes du Hezb ?
©Ici Beyrouth

Depuis 34 ans, la question des armes du Hezbollah est un sujet clé au Liban, tant sur le plan intérieur qu'international. Le 30 septembre 1989, lors de la signature de l’accord de Taëf, en Arabie saoudite, les forces politiques libanaises, qui s’étaient engagées à mettre fin à la guerre civile sévissant depuis plus de 15 ans, ont consacré un chapitre à la question des armes illégales.

«Le gouvernement de réconciliation nationale élabore un plan de sécurité d’une durée d’un an pour étendre l’autorité de l’État. Les grandes lignes de ce plan incluent l’annonce de la dissolution des milices libanaises et non libanaises qui doivent remettre leurs armes à l’État dans un délai de six mois à compter de la ratification du document», peut-on lire dans ce chapitre consacré à l’extension de la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire.

Un député ayant participé aux réunions de Taëf rappelle ce qu’on sait déjà: À l’époque, toutes les milices ont rendu leurs armes, à l’exception du Hezbollah: le Parti socialiste progressiste (PSP) les a restituées à l’État et, en partie, à la Syrie; les Forces libanaises les ont vendues à un pays européen; et le mouvement Amal a remis les siennes à Damas. Quant au Hezbollah, il a conservé son arsenal avec l'aval de la Syrie, sous prétexte qu’il n’avait pas participé à la guerre civile. L’armement iranien est ainsi resté entre ses mains, sous tutelle syrienne, au nom de la «résistance», bien que l’accord de Taëf ne fasse aucune mention explicite d’une telle «résistance».

Après Taëf, qui a consacré la parité islamo-chrétienne, l’accord de Doha, conclu en 2008, a accordé le tiers de blocage, au sein du gouvernement, au tandem Amal-Hezbollah. Il ne leur a pas attribué le ministère des Finances, contrairement à ce qu’ils affirment.

Cet accord, qui a suivi les événements du 7 mai, soulignait l’engagement des parties à ne plus recourir aux armes pour régler leurs différends. Et c’est sur cette base que le président Michel Sleiman avait à l’époque convoqué une conférence de dialogue national, regroupant des représentants des différentes forces politiques, pour mettre en œuvre les réformes prévues et les dispositions de Taëf.

Les participants à ce dialogue ont approuvé la Déclaration de Baabda, puis le président leur a proposé son projet de stratégie nationale de défense, accordant à l’État le monopole du port et de l’usage des armes. Le Hezbollah et les forces du 8 Mars ont cependant vite fait de boycotter le processus, et le comité s’est vu paralysé.

L’élection de Michel Aoun à la tête de l’État, après deux ans et demi de vide présidentiel, s’est inscrite dans le prolongement de cette volonté d’inaction par rapport aux armes illégales. Aucune stratégie de défense n’a été proposée et aucune conférence de dialogue n’a été convoquée. Pour se dérober à cette responsabilité, Michel Aoun s’est retranché derrière l’argument selon lequel les forces politiques dialoguaient déjà au sein du gouvernement.

Sous pression internationale en vue d’une application de l’accord de Taëf pour en finir avec les armes du Hezb, Michel Aoun a annoncé vouloir proposer une stratégie de défense, après les législatives de 2022. Mais cette promesse resta lettre morte vu que le Hezbollah s’y opposait.

Selon un diplomate occidental, le dossier des armes du Hezbollah est entre les mains de l’Iran. L’heure serait-elle venue de transformer le Hezbollah en simple parti politique pour permettre à Téhéran de sauver son régime?

Les discours des responsables du Hezbollah à ce propos sont contradictoires. Certains affirment que le dialogue doit porter sur un processus global et non sur les armes, d’autres se disent ouverts à la discussion. Un troisième courant évoque un plan de défense pour contrer Israël. En définitive, le Hezbollah cherche surtout à gagner du temps, d’autant qu’il n’a jamais respecté les engagements pris, à commencer par la conférence de dialogue parlementaire, en 2006, après l’assassinat de Rafic Hariri, jusqu’à ce jour.

Aujourd’hui encore, il cherche, à travers le dialogue et la stratégie de défense, à légaliser ses armes sur le modèle du Al-Hachd el-Chaabi en Irak. C’est pourquoi l’opposition est hostile à l’idée d’un dialogue au sujet des armes. Le Hezbollah est simplement supposé se conformer à l’accord de Taëf, à la Constitution, aux résolutions internationales, notamment la 1701, ainsi qu’aux dispositions de l’accord de cessez-le-feu avec Israël. La question des armes y est claire: «les armes doivent être remises à l’État, qui est le seul habilité à les posséder».

Ce principe figure aussi dans le discours d’investiture du président Aoun: «Affirmation du droit de l’État à monopoliser les armes afin de contrôler les frontières, de les sécuriser au sud et de les démarquer au nord et à l’est, tout en respectant l’accord d’armistice.»

Idem dans la déclaration ministérielle: «Le devoir de l’État est de monopoliser les armes et d’étendre sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, exclusivement avec ses propres moyens.»

Partant, les forces souverainistes appellent le Hezbollah à remettre ses armes à l’État, comme l’ont fait les factions irakiennes liées à l’Iran, après avoir constaté le désengagement iranien, geste interprété comme un sésame pour engager des négociations avec les États-Unis à Oman.

D’un autre côté, selon des sources politiques, lors de sa visite à Beyrouth, Morgan Ortagus, l’envoyée spéciale adjointe du président américain pour le Moyen-Orient, a obtenu le soutien du président de la Chambre, Nabih Berry, qui serait le parrain de la remise des armes du Hezb à l’État et de la démarcation des frontières terrestres avec Israël.

Depuis Abou Dhabi, Morgan Ortagus a déclaré que Washington attend beaucoup de M. Berry dans la prochaine étape. Un membre de la délégation américaine affirme également qu’un engagement clair a été obtenu des responsables libanais concernant le désarmement du Hezbollah. Le président Aoun aurait pris sur lui d’assurer une «issue honorable», en coordination avec Berry.

Ce dossier sera prochainement à l’ordre du jour du Conseil des ministres, avant le retour de l’émissaire américaine à Beyrouth, pour une troisième visite et, bien entendu, avant les élections législatives de 2026. L’opposition exige que le désarmement ait lieu avant les élections.

Selon certaines sources, les négociations sont terminées. Il n’y a plus de dialogue, plus de stratégie de défense. Israël ne se retirera pas des cinq collines frontalières tant que le Hezbollah n’aura pas remis ses armes.

Mais le Hezbollah continue de tergiverser en attendant l’issue des discussions irano-américaines d’Oman. Celles-ci doivent reprendre, samedi prochain, mais à Rome. Selon un diplomate occidental, l’administration Trump est déterminée à imposer la paix dans la région, que ce soit par des voies diplomatiques ou militaires. Et si l’option militaire l’emportait, l’Iran paierait le prix fort.

«Nous assistons à un nouveau Yalta, redessinant la carte politique du monde à partir du Moyen-Orient, estime ce diplomate.

 

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