
Alors que le Liban tente de remettre à flot un secteur bancaire en crise, un projet de loi modifiant le régime du secret bancaire suscite une vive controverse. Présenté comme une mesure de transparence et de réforme, ce texte inquiète de nombreux experts et citoyens. En cause: des atteintes à la vie privée, à la protection des données, à la stabilité économique et à la confiance dans le système juridique libanais.
Une réforme centrée sur le fameux «article 7»
Au cœur de la réforme proposée se trouve l'article 7, qui introduit une obligation pour les banques de transmettre des informations détaillées sur leurs clients – noms, comptes, mouvements, données personnelles – non seulement à la Banque du Liban et à la Commission de contrôle des banques, mais aussi à tout organisme chargé d’un audit.
En apparence, il s'agit de renforcer la supervision du secteur bancaire. Mais dans les faits, cette disposition crée une confusion inquiétante entre les comptes des banques et ceux de leurs clients, deux entités pourtant distinctes.
Une dérive vers la surveillance généralisée?
Le projet élargit dangereusement l’accès aux données bancaires à des fins de «contrôle général», même sans soupçon ciblé. Jusqu’à présent, la législation permettait aux autorités de consulter les comptes de certains clients dans des cas spécifiques (fraude, blanchiment, évasion fiscale…), mais cette nouvelle version permettrait un accès massif et généralisé aux données de tous les clients, sans justification claire.
Certains observateurs dénoncent une dérive: sous couvert de réforme, c’est un outil de collecte de données sensibles qui pourrait émerger, ouvrant la voie à des usages politiques ou personnels, hors du cadre légal.
Le mécanisme rétroactif: un précédent dangereux
L’un des points les plus controversés du projet est la rétroactivité de la levée du secret bancaire. Cela signifie que les informations couvrant les années passées pourraient être examinées, et les clients poursuivis pour des faits anciens que la loi, à l’époque, n'interdisait pas explicitement.
Ce mécanisme remet en cause deux piliers fondamentaux du droit: la sécurité juridique et la non-rétroactivité des lois pénales. Il expose des citoyens à des poursuites pour des comportements tolérés auparavant, comme certaines irrégularités fiscales ou des questions liées aux droits de succession.
En d'autres termes, un Libanais qui respectait la loi il y a dix ans pourrait aujourd’hui être accusé rétroactivement, simplement parce que la loi a changé.
Un climat d’insécurité juridique pour les investisseurs
Ce type de changement renforce un sentiment d’insécurité pour les investisseurs, les entrepreneurs et les particuliers. Quelle garantie ont-ils que les droits accordés aujourd’hui ne seront pas supprimés demain par une nouvelle loi rétroactive?
Le message envoyé par ce texte est clair: les lois au Liban ne sont ni stables ni prévisibles. Et cela pourrait coûter cher à un pays qui tente désespérément d’attirer les investissements étrangers et de restaurer la confiance dans ses institutions.
Le risque de fuites et d’exploitation des données
Même si la réforme prétend limiter l'accès aux données à des autorités bien précises, comme la Banque du Liban, les précédents laissent penser que ces informations peuvent facilement être partagées, voire divulguées publiquement. Des cas récents ont montré que certaines données bancaires transmises à des juges avaient été diffusées sur les réseaux sociaux dès le lendemain.
Le projet de loi ne prévoit pas de garanties suffisantes pour empêcher la circulation incontrôlée de ces données sensibles. Pire encore, il n’impose pas de sanctions claires et sévères en cas de fuite ou de mauvaise utilisation des informations.
Un droit de recours insuffisant
Le texte accorde aux personnes concernées le droit de contester la levée du secret bancaire devant un juge des référés. Toutefois, il ne fixe pas les critères précis que les autorités doivent respecter, ce qui réduit la capacité du juge à exercer un contrôle efficace. Cela revient à offrir un droit de recours sans réel pouvoir de protection.
Le Liban a besoin de transparence et de réformes bancaires. Mais pas à n’importe quel prix. La levée généralisée du secret bancaire, surtout avec effet rétroactif, met en péril la vie privée des citoyens, la sécurité juridique, la protection des données personnelles et la confiance dans l’État de droit.
Dans un contexte déjà marqué par une crise de confiance sans précédent, cette réforme risque de faire plus de mal que de bien. Le Liban ne peut pas se permettre de devenir un pays où les droits accordés aujourd’hui peuvent être effacés demain – ni un pays où les comptes bancaires finissent en une des journaux ou sur les réseaux sociaux.
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