
En dépit des apparences qui font dire à certains que le monde n’est qu’un éternel recommencement, l’Histoire a un sens: le monde va quelque part. Une lutte à mort entre la vérité et le mensonge marque cette Histoire. On n’en veut pour autre illustration que les affabulations qui infestent en ce moment le Net, et qui portent sur des dates, des prédictions et des conjurations occultes.
L’un des plus récents posts sur le pape François m’a été envoyé par un ami. En résumé, il ne serait pas mort d’un AVC, mais aurait été assassiné par injection d’une substance mortelle.
On veut priver François de la grâce d’une mort naturelle en un jour solennel comme le lundi de Pâques, lendemain de la plus grande fête chrétienne, et peut-être de la plus grande fête de tous les temps: celle de la victoire sur la mort.
Une victoire que le pape Benoît XVI ne considère pas seulement comme un événement extraordinaire, mais comme une véritable «mutation», l’inauguration d’un nouvel âge du monde, celui où Dieu s’accorde une liberté encore plus grande que celle dont il a fait preuve quand il était parmi nous: celle de montrer aux hommes qu’il existe un pouvoir dont ils n’ont qu’une faible idée: le pouvoir sur la mort, le pouvoir de l’amour du Christ capable de changer l’histoire et de faire choir des forteresses.
C’est bien cet amour que le pape François a cherché à révéler à nouveau aux hommes, en bousculant des pesanteurs séculaires qui avaient réduit la foi à un code moral et à des rites inamovibles. Car la soif de Dieu est plus profonde que l’ordre moral, dont Dieu est la source. Et c’est de cette conscience aigüe de la soif de Dieu que le pape a tiré sa profonde compassion pour tous les hommes, aussi éloignés des normes de la sainteté que la vie a pu les tenir. C’est de cette profondeur que vient le «Qui suis-je pour juger?» de François, en réponse à ceux qui condamnent les hommes et les femmes que leur nature ou d’autres raisons indéfinies et parfois obscures attirent ailleurs que vers le sexe opposé au leur, s’ils aspirent au bien de toute leur âme et font raison de ce qu’ils constatent en eux.
Ce faisant, le pape François a concrètement fait entrer le monde entier dans un nouvel âge, celui de la Miséricorde, dont les arcanes ont été révélées par sainte Faustine Kowalska, une religieuse polonaise que saint Jean-Paul II a canonisée. Le message de sainte Faustine, c’est Jésus qui nous informe que, quel que soit l’état moral de l’humanité, ce serait lui faire injure de croire que son cœur miséricordieux est impuissant à le racheter. Et à le libérer. En lieu et place de cette liberté, constate Benoit XVI, l’Occident a choisi de se «libérer» du religieux et de demander des comptes à Dieu, constate Benoît XVI.
L’allusion de François au blé et à l’ivraie renvoie à la parabole du bon grain et de l’ivraie. Jésus y recommande de ne pas se hâter d’arracher l’ivraie, «de peur qu’avec l’ivraie, on n’arrache aussi le blé». Sage disposition d’un homme qui a conscience de la manière dont l’histoire s’avance souvent masquée.
C’est ainsi que nous en revenons à notre sujet. Dans son maître ouvrage La Cité de Dieu, saint Augustin affirme: «Deux amours ont donc fait deux cités: l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste.» Ces deux cités sont les figures de deux systèmes idéologiques ayant chacun ses valeurs propres. Leurs lignes de fracture passent par chacun de nous et par les sociétés où nous vivons. De l’issue victorieuse du combat entre ces deux systèmes, nous ne connaissons ni le jour, ni l’heure. Mais nous l’attendons dans la foi, en ne sautant pas trop vite aux conclusions.
De ce mortel combat, François est parfaitement conscient, et c’est pourquoi il avait fait consacrer son pontificat à Notre-Dame de Fatima dès 2013. Durant son pontificat, avant et après tout déplacement important, il se rendait à Sainte-Marie-Majeure pour solliciter la protection de la Vierge et la remercier. Dans ses révélations de 1917, Notre-Dame avait annoncé la fin de la Guerre mondiale et mis en garde contre une autre, encore plus barbare, si le monde ne changeait pas de conduite. Pour empêcher ce conflit, elle avait demandé la consécration de la Russie à son Cœur immaculé et affirmé que, quel que soit le cours que prendrait l’histoire, «un temps de paix sera donné au monde». On sait que ses avertissements n’ont pas été pris en compte et que rien ne s’est réalisé comme elle le voulait. Toujours est-il que, selon Elle, ce bien inappréciable qu’est la paix ne sera accordé aux hommes que «pour un temps», et que, quelque part, cette paix sera compromise. Se peut-il que l’humanité n’ait rien appris et n’apprendra rien de son histoire? Oui, malheureusement. Jusqu’au combat final. Face à l’histoire, affirme l’historien Henri Marrou, un chrétien ne peut faire preuve que d’un «réalisme tragique». Mais n’anticipons pas trop. La paix d’abord. Le conclave devra en tenir compte.
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