Affichage extérieur: quand la propagande politique dope le marché publicitaire
©Ici Beyrouth

Au Liban, la législation encadrant l’affichage extérieur ne proscrit ni les portraits de figures politiques, ni ceux de chefs religieux. Elle ne trace pas non plus de ligne claire entre communication commerciale et propagande politique, entretenant ainsi une zone grise propice à toutes les interprétations.

Pour Naji Boulos, président du chapitre libanais de l’International Advertising Association (IAA), la situation est sans ambiguïté: «La propagande politique est non seulement tolérée, mais encouragée. Elle constitue une manne pour les régies publicitaires et les municipalités.» Et pour cause: les partis politiques et les candidats paient leurs affiches plein tarif (prix catalogue), en espèces et à l’avance – un luxe que peu d’annonceurs commerciaux s’offrent, eux qui négocient souvent les prix et demandent des délais de paiement.

Autre élément facilitateur, selon Boulos: l’obtention d’une autorisation d’affichage extérieur se limite à une seule démarche administrative auprès de la Sûreté générale. «Une procédure rapide et sans complexité», affirme-t-il.

Si les dépenses publicitaires observées lors des dernières élections municipales et des moukhtars au Mont-Liban sont restées modestes, le président de l’IAA – Chapitre Liban espère une envolée des investissements à l’approche des prochaines élections législatives, qui pourraient injecter plusieurs millions de dollars dans le secteur.

Autre gagnant de ce système: les municipalités. Dès lors que l’affichage est installé sur le domaine public, elles engrangent des revenus considérables, à la fois issus de la location des emplacements et des taxes municipales. Une double rentrée d’argent qui leur permet, littéralement, de faire d’une pierre deux coups.

Dans les autres cas, la municipalité doit se contenter de la taxe prélevée sur la facture d’affichage extérieur, un montant qui varie d’une commune à l’autre.

La campagne «Une nouvelle ère pour le Liban»

Dans ce contexte, la zone stratégique de l’autoroute menant à l’Aéroport international de Beyrouth (AIB), très prisée par les annonceurs et les professionnels de la publicité en raison de sa forte visibilité – entre 80.000 et 120.000 véhicules y circulent chaque jour –, a récemment suscité une vive polémique. En cause: la campagne «Une nouvelle ère pour le Liban», perçue comme un soutien au mandat du chef de l’État, Joseph Aoun.

Son lancement a coïncidé avec la fin d’une autre campagne affichant des portraits géants de figures associées à «l’axe de la résistance, dans un climat chargé, entre tensions latentes et sentiment d’affrontement. Ce chevauchement a ravivé le débat dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Cette controverse, au-delà des clivages politiques, a eu le mérite de relancer la réflexion sur les limites entre liberté d’expression, droit à l’image et usage commercial de l’espace public.

Enjeu d’image pour le Liban

L’autoroute menant à l’aéroport s’impose depuis des années comme une vitrine nationale. Campagnes de luxe, portraits politiques, messages de bienvenue à des délégations étrangères, les panneaux publicitaires y pullulent, conférant à cette portion de route un rôle central dans la bataille des images et des discours.

Selon plusieurs observateurs, 10 à 15% de ces panneaux relèveraient de la propagande idéologique. Une telle présence soulève des interrogations sur l’usage de l’espace public, d’autant plus lorsqu’elle donne une coloration partisane à un lieu censé incarner l’unité nationale.

Dans ce contexte, le gouvernement de Nawaf Salam souhaiterait instaurer une certaine «neutralité visuelle» dans les espaces publics. Un projet de loi allant dans ce sens serait actuellement à l’étude.

 

Publicité au Liban: chiffres et tendances 2024

En 2024, les dépenses publicitaires au Liban ont grimpé à 60 millions de dollars, contre 35 millions en 2023 et 24 millions en 2022. Malgré cette reprise, l’offre d’espaces publicitaires reste largement supérieure à la demande.

Répartition des investissements publicitaires en 2024:

  • Affichage publicitaire extérieur: 15 millions de dollars

  • Publicité télévisée: 15 millions de dollars

  • Presse écrite et publicité radio: 1 million de dollars chacun

  • Publicité digitale au Liban: 30 millions de dollars

Le marché de la publicité numérique domine, captant la moitié des investissements publicitaires, au profit de plateformes internationales comme Meta (Facebook, Instagram), TikTok et Google. Or, ces budgets publicitaires quittent l’écosystème local sans générer de retombées économiques au Liban.

SOURCE: Article de Naji Boulos paru dans la revue Arabad   

 

 

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