
Annoncé à moins de vingt jours du début des municipales, le désengagement électoral du leader sunnite et chef du courant du Futur, Saad Hariri, a créé une onde de choc au sein de la communauté sunnite. Pour la deuxième fois en trois ans, celle-ci se retrouve sans point de repère à l’approche d’une échéance électorale.
Le 24 janvier 2022, Saad Hariri avait annoncé un retrait temporaire de la vie politique, alors que le Liban traversait une période de fortes turbulences, marquée par un soulèvement populaire sans précédent contre sa classe dirigeante. C’était quatre mois avant les élections législatives.
Deux retraits de la vie politico-publique, en trois ans, c’est évidemment trop pour une personnalité de premier plan, même si celle-ci reste, en dépit des aléas de son parcours politique, la plus populaire au sein de sa propre communauté.
Mais pour ses adversaires, c’est l’occasion rêvée d’élargir leur influence. Le vide laissé par Saad Hariri attise les convoitises. Comme en 2020, d’ailleurs, puisque les municipales – qui auront lieu ce dimanche au Liban-Nord et dans la Békaa, puis le 18 mai à Beyrouth où le courant du Futur est fortement implanté – vont servir de test pour ceux qui espèrent grignoter la base sunnite haririenne.
La grande question aujourd’hui reste: quelles seraient leur chance de succès? Pour apporter l’ébauche d’un élément de réponse, un retour aux législatives de 2022 s’impose: le bloc des six parlementaires sunnites proches du Hezbollah, qui avait pu se constituer aux élections de 2018 grâce au système de la proportionnelle sur lequel la nouvelle loi électorale de l’époque est fondée, n’a pas réussi à s’élargir, en dépit des moyens déployés, alors que le retrait haririen de la bataille électorale aurait pourtant pu lui en donner la possibilité.
Le vide laissé par l’absence de Hariri a été comblé par des centristes ou des indépendants proches de la mouvance souverainiste. Il a eu pour conséquence une représentation sunnite fracturée au Parlement, laquelle a surtout démontré qu’au niveau sunnite, personne n’a – du moins jusqu’à présent – l’envergure politique qui lui permettrait de s’imposer, à la place du Futur, comme un levier électoral incontournable.
La Jamaa islamiya et le Hezbollah
La nature n’aimant pas le vide, et les appétits politiques étant ce qu’ils sont au Liban, certains vont essayer, encore une fois, de tenter leur chance.
Deux composantes politico-militaires viennent particulièrement à l’esprit lorsqu’un scénario pareil est évoqué: la Jamaa islamiya et le Hezbollah qui soutient des groupes sunnites proches de l’axe pro-iranien, dont notamment le groupe dit les Brigades de la résistance, au nord du pays.
Issue du mouvement des Frères musulmans, la Jamaa islamiya avait été à un moment donné proche du courant du Futur, sur la liste duquel elle s’était engagée aux législatives en 2009. Avec le parti de Saad Hariri, dont elle s’était rapprochée après l’assassinat de son père, l’ancien chef du gouvernement Rafic Hariri, elle partageait la même hostilité à l’égard du régime de Bachar el-Assad, en Syrie. La Jamaa n’était cependant pas alignée sur toute la politique du Futur et leurs routes se sont d’ailleurs séparées pour cause de divergences sur certains dossiers.
Depuis notamment la crise de 2020 au Liban, ce groupe fondamentaliste cherche à s’imposer davantage sur le terrain, dans les bastions sunnites. Il essaie de se présenter, sans trop de succès, comme une force de changement alternative, aussi bien à Beyrouth qu’à Saïda où ailleurs. Mais aujourd’hui, il dispose d’un appui circonstanciel: le Hezbollah.
Alliée du Hamas palestinien (sunnite), la Jamaa islamiya s’est rapprochée du Hezb avec qui elle a établi une alliance conjoncturelle, après l’ouverture par ce dernier du front de soutien avec le Hamas, le 8 octobre 2024.
Le Hezb, de son côté, souhaite raffermir cette alliance, dans le cadre d’une stratégie politique qui repose sur le grignotage, d’autant que la Jamaa avait réussi l’an dernier, dans le cadre de cette alliance, à entraîner avec elle des figures sunnites, notamment religieuses, parmi celles qui soutiennent la cause palestinienne.
Aussi bien pour que le courant du Futur que pour les personnalités et les groupes qui cherchent à tirer profit de son absence aux municipales, le scrutin de ce dimanche et des deux prochains week-ends, servira de véritable test.
D’aucuns estiment cependant que les résultats du scrutin resteront, à un niveau macro, plus ou moins en faveur du courant du Futur, pour plusieurs considérations. Car si Hariri est absent de la compétition, sa structure politique, elle, reste bien vivante. Ses comités de coordination sont toujours actifs, notamment sur le plan social, fait-on remarquer de sources proches du parti.
Pour elles, la mobilisation populaire autour de Saad Hariri, le 14 février dernier, est la preuve vivante de la puissance polarisante du courant du Futur. Le politologue et journaliste Ali Hamadé va d’ailleurs un peu dans ce sens, soulignant à titre d’exemple le poids de ce parti à Saïda, au Liban-Sud, où, sans être officiellement engagé dans la bataille électorale, il reste très influent sur le terrain, à travers l’ancienne députée Bahia Hariri.
Ailleurs, estime M. Hamadé, les électeurs du courant du Futur pourraient voter en faveur de listes soutenues par des personnalités historiquement proches de ce parti.
Mais, en l’absence d’orientations bien définies, d’autres facteurs pèseront lourd: l’argent électoral, les logiques clientélistes et les dynamiques familiales.
Ceux qui aspirent à grignoter l’électorat sunnite pour améliorer leurs scores dans la perspective des législatives de l’an prochain, n’hésiteront peut-être pas à mettre le paquet, en espèces sonnantes et trébuchantes.
Commentaires