«La Dolce Vita» ou la vision prophétique de Fellini
« La Dolce Vita » de Fellini, le film par lequel le scandale est arrivé. ©Ici Beyrouth

Chef-d’œuvre absolu du cinéma mondial, La Dolce Vita est née d’un regard critique sur Rome et d’un chaos créatif dont Fellini seul avait le secret. Entre nuits fiévreuses, scandales médiatiques et liberté narrative, voici l’histoire derrière l’histoire.

À sa sortie en 1960, La Dolce Vita fait l’effet d’un choc. Le film bouleverse le cinéma, trouble la société italienne et change notre manière de voir ce qu’un film peut raconter. Pourtant, ce chef-d’œuvre de Federico Fellini n’est pas né dans la maîtrise ou la tranquillité. Il surgit du tumulte d’une Rome de la fin des années 1950, où les nuits semblent plus intenses que les jours, et où l’Italie glisse lentement de la pauvreté d’après-guerre vers une modernité étincelante et parfois déroutante.

Fellini, déjà salué pour Les Vitelloni, La Strada ou Les Nuits de Cabiria, ressent alors le besoin de filmer autrement. Il ne veut plus suivre une intrigue classique. Il imagine un film traversé par un homme, Marcello Rubini, journaliste mondain, et par tout ce qu’il poursuit, aime, détruit. Un film dont la structure épouse celle de la ville, à la fois incohérente, foisonnante et splendide.

L’idée lui vient en marchant, comme souvent, dans les rues de Rome, la nuit. Fellini n’écrit pas de manière théorique. Il rêve en observant. Il voit des hommes en costume courir après des starlettes, des flashs d’appareil photo, des prêtres en limousine, des enfants affirmant avoir vu la Vierge. Rome devient un théâtre vivant. Fellini note tout. Il ne veut plus d’un scénario bien rangé, mais d’un chemin flottant, comme celui de Marcello dans la ville, le regard alerte, l’âme un peu perdue.

Marcello, interprété par Mastroianni, est une version à peine voilée du cinéaste. Un homme à la fois spectateur et acteur d’un monde qui s’effondre en paillettes. Journaliste de presse people, il côtoie les puissants, les belles, les mystiques, les intellectuels. Il passe d’une fête à l’autre, cherche quelque chose, ne trouve que du vide bien éclairé.

Un autre personnage marque les esprits, Paparazzo. Inspiré du photographe Tazio Secchiaroli, ce nom inventé par Fellini entre dans la langue commune. Preuve que le film capte quelque chose de son époque et le façonne au passage.

La scène de la fontaine de Trevi est sans doute la plus célèbre. Anita Ekberg, en robe noire, entre dans l’eau, bras ouverts. La nuit semble irréelle. Mastroianni la rejoint, fasciné. Cette image devient mythique. Et pourtant, le tournage est rude, l’eau est glaciale et le froid de l’hiver ne facilite pas les longues prises nocturnes. Ekberg tient bon. Mastroianni boit de la vodka pour ne pas s’écrouler. Fellini, lui, sait qu’il filme un moment éternel.

La structure du film est singulière, sept nuits, six jours. Certains y voient un clin d’œil biblique, d’autres une allusion aux péchés capitaux. Fellini ne confirme rien. Ce qui l’intéresse, c’est le flux, la sensation. Chaque séquence est un univers. Une fête étrange. Une visite chez un écrivain fatigué. Une nuit avec un père mourant. Une apparition dans la campagne. Et Rome, omniprésente.

À sa sortie, le film déclenche un scandale. L’Église attaque et les conservateurs s’indignent. Rome se reconnaît un temps dans le miroir, puis détourne les yeux. Le public, lui, est captivé. La Dolce Vita remporte la Palme d’or à Cannes et s’impose dans le monde entier. Mastroianni devient le visage de Fellini. Et Fellini devient une légende.

Mais plus encore qu’un succès, La Dolce Vita devient une façon de lire son temps, l’Italie du boom économique, des médias, de la perte de sens. Fellini ne condamne pas. Il regarde. Son regard n’est ni naïf ni cynique, mais celui d’un poète sans illusion.

Et malgré ce vide qu’il montre, quelque chose persiste. Un reste d’enfance, un visage, un poisson géant échoué. Une jeune fille silencieuse. Et Marcello, qui ne sait plus. Peut-être que la réponse se trouve dans cette absence même.

Loin d’être un film à thèse, La Dolce Vita est une dérive lucide. Un rêve éveillé, filmé par un homme qui, en montrant le désenchantement, s’est hissé jusqu’aux étoiles.

 

La naissance d’un mot: «Paparazzi»

Le mot «paparazzi» n’existait pas avant La Dolce Vita. Fellini l’invente en nommant ainsi un photographe dans le film, inspiré du vrai paparazzo romain Tazio Secchiaroli. Le nom vient d’un personnage secondaire dans un roman de Gissing (By the Ionian Sea), que Fellini avait lu. Depuis, le terme est devenu universel pour désigner les chasseurs d’images de célébrités.

 

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