
Les récentes élections municipales au Liban livrent plusieurs enseignements essentiels. Si les scrutins organisés dans les villages et petites localités restent peu représentatifs des dynamiques des élections législatives en raison des spécificités familiales propres aux milieux ruraux, les grandes villes, quant à elles, dessinent une réalité plus lisible. De Tripoli à Jounieh, en passant par Jdeidé, Beyrouth, Saïda et Tyr, les confrontations électorales ont clairement pris une dimension politique difficile à ignorer.
L’un des signaux les plus marquants à l’aune des prochaines législatives est le net recul des députés du bloc du changement. Entrés au Parlement au lendemain de la contestation d’octobre 2019 avec treize sièges et portés par une vague d’enthousiasme national et diasporique, ces élus n’ont depuis réussi aucune percée notable. Pire, plusieurs d’entre eux ont peiné à mener campagne dans leurs propres localités sans le soutien des partis politiques traditionnels.
Un recul électoral massif pour les forces du changement
De Zghorta au Chouf, en passant par Beyrouth, le bloc du changement a montré une incapacité criante à mobiliser les électeurs. À Beyrouth, où son influence avait autrefois permis l’élection de cinq députés, son poids s’est progressivement effrité, devenant quasi marginal dans l’opinion publique.
À titre d’exemple, lors des dernières municipales à Beyrouth, la liste «Beyrouth Madinati» a recueilli environ 8.000 voix en moyenne: 1.500 dans la première circonscription et 6.000 dans la deuxième. Sur le plan électoral, cela équivaut à peine à la moitié d’un seuil dans Beyrouth II, là même où ils avaient décroché trois sièges parlementaires, et à une portion négligeable dans Beyrouth I, pourtant représentée par deux députées issues de ce même bloc.
Bien que le contexte beyrouthin demeure influencé par les règles de la parité et les grandes alliances partisanes, la comparaison avec les municipales de 2016 est édifiante. À l’époque, la liste menée par l’actuel député Ibrahim Mneimné avait suscité un large engouement populaire. Aujourd’hui, ce même bloc ne réunit plus qu’un quart de cet électorat, signe d’un net recul de son ancrage local.
Partant de ce constat, les députés du changement ont été contraints de reconnaître leur défaite, exprimant tristesse et regrets, tout en dénonçant la prétendue offensive orchestrée contre eux, mobilisant des moyens financiers, médiatiques et confessionnels. Des accusations qui sonnent creux, puisque ces mêmes mécanismes étaient déjà à l’œuvre lors des scrutins précédents, y compris lorsqu’ils avaient remporté leurs sièges.
Une désillusion politique nourrie par un bilan décevant
La réalité qu’ils refusent d’admettre est bien plus simple et brutale: leur base électorale s’est effondrée, atteignant un niveau historiquement bas, et ce, sans même prendre en compte les résultats désastreux des listes «Beyrouth Madinati» au Liban-Sud où elles ont à peine franchi le seuil de 1% des suffrages, comme à Nabatiyé.
Les causes de cet effondrement sont multiples et complexes, et ne sauraient être imputées à des questions d’argent, de médias ou de confessionnalisme, contrairement aux accusations avancées par les députés du bloc du changement. Le malaise est ailleurs: il trouve ses racines dans leur propre bilan, au terme de trois années de mandat.
Ce bilan est marqué par des prises de position anecdotiques comme leur focalisation déconcertante sur une grotte abritant des phoques, par des gestes symboliques sans portée réelle à l’image de cette tente dressée dans l’hémicycle en attendant l’élection d’un président et par des divisions internes profondes. Ces tensions ont mené certains membres à se rapprocher du camp de la «moumanaa», allant jusqu’à devenir les fervents défenseurs du Hezbollah, plus que les députés du Hezbollah eux-mêmes.
Pour de nombreux électeurs qui avaient misé sur le bloc du changement, le constat est amer: aucun progrès concret, seulement des slogans creux, des pétitions et une forme d’immaturité politique. Aucun travail législatif sérieux, aucune initiative structurante en commission et, surtout, aucun texte de loi marquant n’a vu le jour.
Le verdict des municipales est sans appel: le bloc du changement a été ramené à sa véritable dimension. Après avoir surfé sur la vague de soutien générée par les crises successives et pratiqué une forme de lynchage politique contre quiconque osait nuancer son discours, il a fini par s’enfermer dans sa propre logique de diabolisation.
Il a accusé l’État dans son ensemble, sans distinguer ses forces de ses failles. Il a aussi condamné tout le secteur bancaire, sans faire la différence entre responsables et victimes. Puis, il a rejeté tout adversaire politique, sans séparer les réformateurs sincères des corrompus avérés.
Aujourd’hui, ce bloc se retrouve prisonnier de ce récit dont il semble incapable de sortir.
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