
Le 31 mai, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, un constat alarmant a été mis en lumière: au Liban, plus de la moitié des adultes fument, plaçant le pays en tête de la région en termes de prévalence du tabagisme.
En effet, 54% des adultes de plus de 18 ans sont des fumeurs réguliers. La situation est tout aussi préoccupante chez les adolescents : le Liban arrive en tête du classement régional du nombre de jeunes – filles comme garçons – ayant déjà essayé la cigarette ou le narguilé. Beaucoup commencent à fumer entre 14 et 18 ans, une période cruciale où ils construisent leur identité et sont particulièrement vulnérables aux influences extérieures.
Sous le slogan «Levons le masque, préservons notre santé», choisi par l’OMS pour dénoncer les stratégies marketing des industries du tabac, cette journée a permis à l’Hôtel-Dieu de France d’organiser une importante campagne de sensibilisation. L’objectif: informer les jeunes sur les dangers réels des nouvelles formes de tabac – cigarette électronique, vape, Iqos – souvent perçues à tort comme moins nocives, et ainsi contribuer à la protection de la santé publique.
Les nouvelles formes de tabac gagnent du terrain chez les jeunes
Le tabac reste l’une des principales causes de mortalité évitable dans le monde, responsable de plus de 8 millions de décès chaque année, selon l’Organisation mondiale de la santé. En plus des cancers et des maladies cardiovasculaires, il est à l’origine de pathologies respiratoires graves, comme la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive), une affection incurable et fortement invalidante.
Au Liban, un phénomène inquiétant se développe: la consommation croissante de narguilés, vapes, puffs et produits chauffés comme l’Iqos, notamment chez les adolescents. La docteure Zeina Aoun, cheffe du service de pneumologie et de réanimation médicale à l’Hôtel-Dieu de France, avertit à Ici Beyrouth: «Beaucoup pensent que ces produits sont moins dangereux, mais c’est faux. Ils contiennent des substances très toxiques et provoquent une forte dépendance.»
Le tabagisme passif, auquel sont exposés quotidiennement enfants et adultes non-fumeurs, aggrave encore le problème, d’où l’importance cruciale de la prévention selon les professionnels de santé.
Des jeux pour lutter contre le tabac
Pour sensibiliser efficacement les jeunes, l’Hôtel-Dieu de France a organisé une journée interactive, rassemblant de nombreux visiteurs autour de stands éducatifs. Rita Nassrani, responsable du centre de sevrage tabagique, explique que l’objectif était de «corriger les idées reçues et toucher les adolescents avant qu’ils ne commencent à fumer».
Des activités ludiques – jeux, quiz, dessins – ont animé la journée. Un dépistage gratuit de la BPCO a aussi été proposé, afin de mieux faire connaître cette maladie respiratoire souvent sous-estimée.
La docteure Zeina Aoun a rappelé que «beaucoup pensent que la cigarette électronique est inoffensive, mais ce n’est pas le cas », insistant sur la nécessité d’une information fiable. Des espaces dédiés au bien-être ont également offert des séances de yoga, de relaxation et des conseils pour mieux gérer le stress, encourageant ainsi des modes de vie plus sains.
Cette journée a contribué à renforcer la prise de conscience des dangers du tabac et de ses substituts — une étape essentielle dans la lutte contre ce fléau.
Derrière les arômes sucrés, des dangers bien réels
Malgré les campagnes de sensibilisation, de nombreuses idées reçues persistent, notamment chez les jeunes. Beaucoup pensent encore que fumer uniquement en soirée ou préférer le narguilé ou la cigarette électronique serait moins nocif que la cigarette classique. Or, c’est scientifiquement faux.
Ces produits, souvent perçus comme inoffensifs, contiennent en réalité de la nicotine et d’autres substances toxiques, parfois à des concentrations élevées. «Ce sont des idées fausses très répandues, et pourtant tous ces produits sont nocifs, sans exception», rappelle la docteure Aoun. Elle souligne que cette confusion est alimentée par les stratégies bien rodées des industries du tabac, qui cultivent volontairement une fausse image de sécurité.
Colin Cordahi, psychiatre en formation à l’Hôtel-Dieu, ajoute: «L’attrait des arômes sucrés et des designs colorés participe à une stratégie marketing bien pensée pour séduire les jeunes et minimiser les risques perçus.»
L’événement visait précisément à lever le voile sur ces illusions, misant sur la prévention et une information scientifique rigoureuse, considérée comme l’arme la plus efficace contre l’emprise de ces produits.
Dialogue, prévention et accompagnement pour tous
L’initiative portée par l’Hôtel-Dieu de France s’inscrit dans une dynamique de mobilisation collective, impliquant soignants, ONG, éducateurs et citoyens, tous unis autour d’un objectif commun: réduire l’emprise du tabac sur la société.
«Ce n’est pas un simple événement, c’est une étape dans un engagement durable pour la santé publique», affirme Mme Nassrani. L’accès libre et gratuit à cette journée a permis à chacun, quel que soit son âge ou son parcours, de s’informer, de poser des questions et de bénéficier d’un accompagnement personnalisé.
Pour Colin Cordahi, il est crucial de créer des espaces de dialogue afin de déconstruire les automatismes liés au tabac et d’encourager les jeunes à faire des choix éclairés. En misant sur la prévention, l’écoute et la sensibilisation, cette initiative veut être un catalyseur de changement durable, un point de départ vers un avenir plus sain, où l’information remplace les illusions et où la solidarité renforce la santé de tous.
Fumer, une «béquille» face à l’angoisse et à la douleur
Carole Charabati, psychologue au centre de sevrage tabagique, souligne que l’arrêt du tabac ne dépend pas uniquement de la volonté, mais nécessite un accompagnement émotionnel: «Beaucoup fument pour calmer une angoisse ou fuir une douleur. Mon rôle est de les aider à affronter leur quotidien sans avoir recours à cette béquille.»
Elle rappelle que le lien entre tabac et santé mentale est souvent mal compris: «Certains pensent que fumer les aide contre la dépression, alors que les études montrent que cela aggrave l’anxiété et la dépression.» Elle précise également que le tabac diminue l’efficacité de plusieurs médicaments, y compris les antidépresseurs et les anesthésiants.
Accompagner les personnes dans leur sevrage, c’est aussi leur permettre de retrouver un meilleur équilibre mental et physique.
Un appel à faire appliquer les lois et changer les habitudes au Liban
La docteure Zeina Aoun dénonce le manque d’application des lois sur la vente de tabac aux mineurs au Liban: «Il n’y a aucune restriction réelle, et personne ne semble concerné.» Selon elle, les textes existent mais ne sont pas appliqués, ce qui constitue un problème majeur expliquant en partie la forte prévalence du tabagisme chez les jeunes.
Elle regrette aussi une attitude problématique face à la santé, notant que «beaucoup de Libanais ne croient pas aux preuves médicales et se sentent au-dessus des maladies et des recommandations».
Pour faire bouger les lignes, elle insiste sur la nécessité de dénormaliser la consommation de tabac: «Dans la plupart des pays du monde, fumer est devenu socialement inacceptable. Au Liban, c’est encore perçu comme normal et cela se défend même bien.»
Elle plaide enfin pour une hausse significative du prix des cigarettes et l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics, estimant que seule «une stratégie de fin de partie» pourrait rendre le tabac quasiment inexistant.
Commentaires