Damas sous les islamistes, entre libertés et restrictions
Après six mois de silence, la musique et les soirées refont surface dans la capitale syrienne, où la population oscille entre espoir et inquiétude. ©LOUAI BESHARA/AFP

Lorsqu’une coalition islamiste a pris le pouvoir à Damas en décembre, Ichtar a arrêté ses concerts par prudence. Six mois plus tard, elle est de retour sur scène, mais la prudence reste de mise dans la capitale syrienne.

Après un demi-siècle de répression sous le clan Assad, les voix se délient dans les cafés et restaurants à Damas, où l’on ose désormais évoquer la politique, les libertés individuelles et des sujets autrefois tabous comme la question des disparus.

Bien que les nouvelles autorités n’aient pas imposé officiellement de restrictions, de nombreux Syriens craignent pour leurs libertés sociales et religieuses. Plusieurs dérives souvent qualifiées «d’incidents isolés» ont été signalées.

«Nos activités se sont interrompues en raison du changement. Nous avions peur de chanter en public», dit Ichtar, une architecte de 26 ans après avoir entonné «La vie en rose» et d’autres chansons françaises, anglaises ou italiennes lors de cette soirée au palais Naassane, au cœur de la vieille ville de Damas.

«Des restaurants ont été fermés, d’autres ont eu des problèmes de licence... mais, Dieu merci, aujourd’hui nous avons recommencé à travailler», ajoute la jeune femme qui utilise son nom de scène.

Pour Ichtar, qui a étudié le chant lyrique, «nous ne voulons pas que la société se divise aujourd’hui entre ceux qui veulent (la diversité) et ceux qui la combattent».

Shorts, alcool et voile

Les inquiétudes sont pourtant vives depuis qu’une femme a été tuée en mai par des hommes armés qui ont attaqué une boîte de nuit à Damas.

Quelques jours plus tôt, des combattants d’un groupe affilié aux autorités avaient effectué une descente dans un cabaret et agressé les clients, hommes et femmes, à coups de crosse.

Sur les réseaux sociaux, des vidéos montrent des jeunes gens répétant des slogans religieux ou demandant la fermeture des bars qui servent de l’alcool.

De temps à autre, des agents de sécurité font irruption dans des bars de la vieille ville et les ferment faute de licence pour vendre de l’alcool.

«L’ancien régime avait l’habitude de fermer certains de ces bars temporairement, puis ils rouvraient après paiement d’amendes ou de pots-de-vin. Mais aujourd’hui, il semble qu’ils ferment définitivement», confie un propriétaire de bar, souhaitant garder l’anonymat.

Son bar ayant une licence, il reste ouvert jusque tard dans la nuit et les patrouilles des services de sécurité qui passent devant ne l’importunent pas.

La communauté internationale a exhorté les nouvelles autorités à respecter les libertés et inclure les minorités ethniques et religieuses dans la transition.

Si aucune loi à caractère islamique n’a été promulguée, des voitures équipées de haut-parleurs sillonnent les rues de Damas pour inciter les habitants à respecter les préceptes de l’islam et à prier.

Sur les réseaux sociaux, certains critiquent des jeunes filles en maillot de bain ou des soirées dansantes.

Une vidéo montrant des filles voilées intégralement à l’Université de Damas a suscité une vive controverse sur la toile.

«Soif de vie»

Si aucune ségrégation entre hommes et femmes n’a été constatée, une passagère a récemment indiqué à l’AFP qu’un chauffeur lui avait demandé de ne pas s’asseoir à côté de son ami en cas de contrôle.

Abdel Rahman Lahham, 29 ans, raconte à l’AFP qu’un jeune homme en uniforme militaire l’a interpellé parce qu’il portait un short. «Il m’a dit:Tu sais que ta tenue est interdite et haram (illicite en islam)?».

Dans les stades, il est désormais rare de voir les sportives en short.

Un grand hôtel de Damas a restreint la vente d’alcool au seul service en chambre, ont confirmé plusieurs clients à l’AFP.

Pour Rima Shashati, une employée à la retraite, assise au premier rang au concert du palais Naassane, les incidents restent «globalement isolés». «Les choses prendront du temps, mais nous sommes optimistes», dit-elle.

Après avoir passé dix ans en Autriche, Majd Al-Naassane, 33 ans, est rentré à Damas où il organise des soirées musicales dans sa demeure familiale: «C’est vrai qu’il y a des inquiétudes à Damas (..) mais il y a aussi une vraie soif de vie»

Par AFP

Commentaires
  • Aucun commentaire