
En juin 2025, l’Organisation des Nations unies célèbre ses 80 ans. Fondée à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour préserver la paix, garantir les droits fondamentaux et renforcer la coopération internationale, elle se confronte aujourd’hui à des défis majeurs. Dans un monde fragmenté, où les conflits persistent, son efficacité est de plus en plus contestée.
Le 26 juin 1945, à San Francisco, 51 pays signaient la Charte des Nations unies. Le 24 octobre suivant, l’Organisation des Nations unies (ONU) entrait en fonction avec un objectif: prévenir une nouvelle catastrophe mondiale.
Pensée comme le socle d’un ordre fondé sur la paix, la justice et la solidarité, l’ONU semble aujourd’hui affaiblie. Les conflits s’accumulent, le Conseil de sécurité reste souvent paralysé et les principes fondateurs sont régulièrement bafoués.
Son 80e anniversaire met en lumière, non pas un bilan triomphal, mais les tensions et contradictions d’un système multilatéral en crise.
Une ambition intacte, une influence limitée
Dès sa fondation, l’ONU portait un projet ambitieux. Comme le stipule l’article 1 de sa charte, elle s’engage à «maintenir la paix et la sécurité internationale», à faire respecter les droits des peuples, et à «résoudre les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire».
Ces objectifs ont inspiré de nombreuses générations et structuré la diplomatie mondiale pendant toute la moitié du XXe siècle. Certains succès illustrent cette ambition. Le déploiement de Casques bleus dans certaines régions du monde, notamment au Liban, a permis de stabiliser des situations extrêmement tendues, malgré certaines limites opérationnelles.
L’action humanitaire des agences onusiennes a également permis de sauver plusieurs millions de vies, notamment grâce aux interventions de l’Unicef ou du Haut-Commissariat pour les réfugiés, dans les pays les plus pauvres.
La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948, reste un texte de référence en droit international.
Les Objectifs du Millénaire pour le développement, accompagnés par les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030, ont permis d’instaurer des cadres de mobilisation encore jamais vus dans le monde.
Mais ces différents résultats s’opposent à des failles. Le Conseil de sécurité, dans lequel cinq membres permanents disposent d’un droit de veto, montre une inégalité structurelle entre les États. Cette architecture, pensée à l’époque pour maintenir l’équilibre entre les grandes puissances, freine aujourd’hui l’efficacité de l’ONU.
Les différents vétos opposés par certaines puissances ont empêché toute réponse aux différents conflits récents à Gaza, en Ukraine, au Soudan ou encore en Syrie.
Comme le constate Frédéric Ramel, politologue à Sciences Po Paris, «l'ONU est considérablement affaiblie. Cette fragilité tient à son contournement par nombre d'États qui préfèrent la voie du minilatéralisme ou des formes plus souples de coopération multilatérale (G7 ou G20) qui se veulent beaucoup moins contraignantes.»
Au-delà des discours, l’ONU vient se heurter aux réalités politiques, géopolitiques et économiques, qui limitent son impact. Alors qu’elle doit faire face à des défis croissants, notamment la crise climatique, les conflits prolongés ou encore le repli identitaire, l’institution ne parvient pas à imposer une vision globale crédible.
Entre impuissance diplomatique et pressions géopolitiques
Dans les pays du Sud, on dénonce une organisation perçue comme dominée par l’Occident. Les accusations de «deux poids, deux mesures» se multiplient, notamment dans le traitement différencié des crises en Ukraine et à Gaza.
«L’hétérogénéité du système international est aujourd’hui flagrante», note Frédéric Ramel. «De nombreux États aspirent à un ordre mondial plus équitable, y compris sur le plan des valeurs.»
Les défis s’accumulent: montée en puissance des BRICS, influence croissante des acteurs privés, retour de la logique de blocs. À cela s’ajoute une crise budgétaire: en avril 2025, les États-Unis devaient encore 1,5 milliard de dollars à l’organisation.
Le Conseil de sécurité n’a pas réussi à imposer un cessez-le-feu à Gaza. En Ukraine, l’action de l’ONU se limite à une aide humanitaire. Dans les deux cas, elle apparaît incapable de faire respecter le droit international.
Réformer ou disparaître?
Certaines voix appellent donc à une réforme en profondeur: élargissement du Conseil de sécurité, limitation du droit de veto, meilleure représentativité – les pistes sont connues.
Frédéric Ramel est clair à cet égard: «Sur les questions de sécurité internationale, c'est indéniable. Cette réforme est aujourd'hui incontournable, malgré le contexte peu favorable. Une seconde charte des Nations unies est en cours d'élaboration, qui prend en compte ces changements à opérer.»
Et M. Ramel de conclure: «Aujourd'hui, les enjeux ne sont pas seulement ceux de l'absence de guerre entre grandes puissances mais aussi la préservation de notre planète en tant que telle, comme milieu qui accueille le vivant. Peut-on vraiment oublier le système Terre dans le contexte actuel?»
L’ONU incarne une vision noble: un monde fondé sur le droit, la coopération et la solidarité entre les nations. Mais 80 ans après sa création, cette idée vacille. L’organisation paraît souvent dépassée, trop lente, désarmée face aux rapports de force.
L’Organisation reste le seul forum mondial où toutes les nations peuvent dialoguer. Mais sans volonté politique, elle risque de n’être qu’un symbole vidé de sa portée, célébrée pour son passé plutôt que tournée vers l’avenir.
Reste à savoir si ses membres auront le courage de lui donner les moyens de ses ambitions, ou s’ils la laisseront sombrer dans l’oubli diplomatique, célébrée pour son anniversaire, mais éteinte dans les faits.
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