
Quand l'État est à court de solutions, il puise dans le réservoir. Dans une manœuvre qui aurait pu figurer dans un sketch tragico-comique, le gouvernement a décidé d'augmenter les prix des carburants. Motif officiel: financer des aides sociales. L'idée? Prendre un peu plus à tout le monde pour en donner à quelques-uns. Résultat: le fardeau des uns finance le soulagement des autres… au prix fort.
Au Liban, la politique du gouvernement semble s'inspirer de la célèbre maxime: «Quand ça ne va pas, augmentez les taxes!»
Dans une décision qui a fait l'effet d'une bombe, le gouvernement a annoncé une hausse significative des prix des carburants, dont le prix baisse pourtant sur le marché mondial, afin de financer des aides sociales. Une mesure qui, selon les autorités, vise à alléger le fardeau des plus démunis... tout en alourdissant celui des autres.
Le ministre de l'Économie, Amer Bisat, a bien tenté de rassurer les citoyens: pas de panique, les prix resteront stables – du moins en théorie – notamment celui du pain. Mais que les amateurs de levain ne se réjouissent pas trop vite: si le pain semble protégé, l’électricité, elle, demeure aux abonnés absents. Quant aux générateurs privés, devenus indispensables à la survie quotidienne, leur prix s’apprête, lui aussi, à flamber dans une logique d’enchaînement proportionnel.
Le privé tente d'encaisser le choc
Heureusement, une petite éclaircie dans cette grisaille tarifaire: le président du syndicat des importateurs de produits alimentaires, Hani Bohsali, tout comme celui des propriétaires de supermarchés, Nabil Fahed, assurent à Ici Beyrouth que les prix des denrées alimentaires ne seront pas impactés par la hausse du carburant. Selon eux, les entreprises privées absorberont la différence, le surcoût étant encore «supportable» dans l’immédiat. Une promesse qui, si elle est tenue, pourrait éviter à la facture du caddie de s’envoler… du moins temporairement.
Toutefois, M. Bohsali alerte: «L'État ne peut pas éternellement augmenter les taxes pendant que le secteur privé assume les coûts. Il est invité à lutter contre la contrebande et le manque de contrôle sur les importations pour financer le pays autrement.»
M. Fahed ajoute, pour sa part, que le prix du pétrole est actuellement en baisse, ce qui compense partiellement l'effet de la taxe. Toutefois, si les cours venaient à augmenter durablement, les prix à la consommation grimperaient eux aussi.
De son côté, le président du syndicat des minotiers, Ahmad Hoteit, indique à Ici Beyrouth que le ministre de l'Économie leur a demandé de ne pas augmenter le prix du blé, de la farine et du pain aux boulangers, en attendant de trouver une solution. Une dérogation spéciale pourrait même être accordée aux industriels pour éviter pénuries et hausse des prix. Les minotiers avouent qu'ils ne pourront pas absorber la différence longtemps, mais le font pour l'instant.
Les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie montent au créneau
Pas question pour le président du syndicat des restaurateurs, cafés, boîtes de nuit et pâtisseries, Tony Rami, de garder le silence face à cette décision. Dans un communiqué, il dénonce vivement la hausse des prix des carburants qui, selon lui, alourdit encore plus les coûts de fonctionnement d’un secteur déjà fragilisé, avec une électricité parmi les plus chères au monde. Pour lui, au lieu de soutenir ce pilier crucial de l'économie et de l'emploi, le gouvernement le pousse à bout, rendant la compétition interne et externe quasi impossible.
Il appelle enfin à un retour immédiat sur cette décision et à une vraie réforme énergétique pour éviter que les secteurs productifs ne paient une facture salée pour les échecs de la gestion publique.
Même son de cloche du côté de l’hôtellerie. Pierre Achkar, président de la Fédération des syndicats touristiques et du syndicat des propriétaires d'hôtels a exprimé son «profond regret face à la décision du gouvernement d’augmenter les prix des carburants», avertissant que cette mesure «aura des répercussions négatives sur les coûts de production et d’exploitation, à un moment où les entreprises ont besoin de relance après des années de crises et, plus récemment, la guerre».
Il a souligné que «le coût de l’électricité au Liban est parmi les plus élevés au monde, ce qui pèse lourdement sur la compétitivité régionale des établissements touristiques, notamment face à des pays comme la Turquie, l’Égypte ou la Jordanie». Et d’ajouter, surpris: «Au lieu de réduire les tarifs pour les établissements touristiques, comme nous l'avons demandé à plusieurs reprises au ministre de l'Énergie Walid Fayad et à ses prédécesseurs, nous découvrons une décision qui va à l’encontre des attentes.»
Il a enfin exhorté le gouvernement à revenir sur cette décision «injuste» ou à en exclure au minimum les établissements touristiques et hôteliers, estimant qu’«il existe bien d'autres sources de revenus que l’État pourrait exploiter avant de frapper encore une fois les secteurs productifs par de nouvelles taxes».
L’effet domino: entreprises en surchauffe
Mais pour les autres secteurs, l’impact est immédiat: coûts de production, transport, logistique… tout augmente. Les entreprises, déjà à bout de souffle, peinent à maintenir leur activité. Certaines envisageront certainement des réductions d’effectifs, d’autres un arrêt pur et simple. Le tissu économique, fragile, se déchire un peu plus à chaque décision mal ficelée.
Le citoyen lambda: toujours bon payeur
Et pendant ce temps, le citoyen libanais, lui, paie. Pour aller travailler, pour faire tourner son frigo, pour envoyer ses enfants à l’école… Chaque hausse de carburant pèse sur un budget déjà exsangue. Les factures s'accumulent, l’angoisse aussi. Entre résignation et colère sourde, la population encaisse sans broncher.
Si la volonté d’aider les plus vulnérables et les moins nantis est louable, la méthode choisie interroge. En taxant la mobilité et l’énergie, le gouvernement risque d’affaiblir davantage les classes moyennes et les secteurs productifs. À quand une stratégie économique qui ne sacrifie pas Paul pour aider Pierre?
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