Pékin mise sur les terres rares pour peser dans les négociations commerciales
(G/D) Le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et le vice-Premier ministre chinois He Lifeng se serrent la main alors qu'ils posent pour une photo lors de discussions commerciales à la Lancaster House à Londres, le 9 juin 2025. ©Handout / Département du Trésor américain / AFP

La Chine dispose d’une carte maîtresse dans ses négociations commerciales avec les États-Unis : son contrôle de l’essentiel des gisements de terres rares, des minerais stratégiques indispensables à l’économie moderne et à la défense.

Utilisées dans les véhicules électriques, les éoliennes ou encore les missiles, elles sont devenues un enjeu crucial.

L’AFP fait le dossier, source de tensions entre Pékin et Washington.

Une Chine leader

«Le Moyen-Orient a du pétrole. La Chine a des terres rares», déclarait en 1992 Deng Xiaoping, l’ex-dirigeant chinois.

Depuis, des investissements massifs de Pékin dans ses entreprises minières, couplés à une réglementation environnementale moins stricte que dans certains autres pays, ont fait du géant asiatique le premier fournisseur mondial.

La Chine représente désormais 92 % de la production mondiale raffinée, selon l’Agence internationale de l’énergie.

Mais les flux chinois en direction des entreprises étrangères ont ralenti depuis début avril, lorsque Pékin a commencé à imposer aux producteurs nationaux l’obtention d’un permis pour pouvoir exporter sept types de terres rares.

La décision a été largement perçue comme une mesure de rétorsion face aux droits de douane américains sur les biens chinois.

Sujet crucial

Garantir l’accès à ces éléments stratégiques est devenu la priorité pour les responsables américains lors des pourparlers avec leurs homologues chinois cette semaine à Londres.

«La question des terres rares a clairement (…) éclipsé les autres aspects des négociations commerciales en raison des arrêts de production aux États-Unis», a souligné lundi Paul Triolo, chercheur spécialisé dans les technologies et la Chine au cercle de réflexion américain Asia Society Policy Institute.

Ces perturbations ont notamment contraint le constructeur automobile américain Ford à suspendre la production d’un SUV.

Les négociateurs chinois et américains ont finalement annoncé dans la nuit de mardi à mercredi s’être accordés sur un «cadre général» pour lisser leurs différends commerciaux. Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, s’est dit convaincu que les inquiétudes sur l’accès aux terres rares seront «résolues».

Dépendance

Le ralentissement dans la délivrance des permis d’exportation fait craindre que davantage de constructeurs automobiles américains ne soient contraints de suspendre leur production.

Le ministère chinois du Commerce a toutefois déclaré ce week-end qu’en tant que «grand pays responsable», la Chine avait approuvé un certain nombre de demandes d’exportation.

Reste que la situation souligne la dépendance de Washington vis-à-vis des terres rares chinoises pour produire des armements, dans ce contexte de tensions commerciales et géopolitiques durables.

L’avion militaire F-35 du constructeur américain Lockheed Martin nécessite par exemple plus de 400 kg de terres rares, a relevé dans une récente analyse le groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies (CSIS).

«Développer des capacités minières et de transformation exige un effort sur le long terme, ce qui signifie que les États-Unis resteront en position de faiblesse pour un certain temps», a-t-il souligné.

Position de force

La Chine a déjà utilisé sa domination sur les chaînes d’approvisionnement de terres rares pour mettre la pression sur d’autres pays.

Après une collision en 2010 entre un chalutier chinois et des navires des garde-côtes japonais dans des eaux disputées, Pékin avait brièvement suspendu ses livraisons vers son voisin.

Cet épisode avait poussé le Japon à investir dans des sources alternatives et à améliorer ses stocks de ces éléments vitaux.

Mais en 15 ans, le Japon n’a réalisé que des «progrès marginaux», ce qui est «une bonne illustration de la difficulté de réduire réellement la dépendance vis-à-vis de la Chine», affirme Paul Triolo.

De son côté, le ministère américain de la Défense ambitionne de développer des chaînes d’approvisionnement nationales afin de garantir pour les États-Unis, d’ici 2027, un accès sécurisé aux terres rares nécessaires pour certains armements.

Mais les gisements avec des teneurs en terres rares suffisantes pour être économiquement rentables à exploiter «sont plus rares que pour la plupart des autres minerais, ce qui rend l’extraction plus coûteuse», expliquent Rico Luman et Ewa Manthey, de la banque ING, dans une analyse publiée mardi.

«C’est précisément cette extraction et ce traitement complexe et onéreux qui confèrent aux terres rares leur importance stratégique», soulignent-ils.

«Cela donne à la Chine une position de force dans les négociations».

Peter Catterall / AFP

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