
Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’Iran a été visé par une attaque israélienne d’une ampleur inédite. Plusieurs sites militaires et nucléaires ont été ciblés, notamment le site stratégique de Natanz, ont été ciblés. Des responsables militaires et scientifiques ont été tués. L’envergure et la précision de cette opération ne sauraient être comprises sans évoquer la puissance du renseignement israélien, qui semble avoir joué un rôle central dans la préparation et l’exécution des frappes. Khaled Hamadé, général de l'armée à la retraite et directeur du Regional Forum Consultancy and Studies (FSC), répond aux questions d’Ici Beyrouth.
1. Quel rôle précis ont joué les services de renseignement israéliens dans la planification et l’exécution des récentes frappes en Iran, notamment dans le ciblage de responsables des Gardiens de la Révolution, de scientifiques nucléaires et d’infrastructures stratégiques?
Depuis toujours, le renseignement militaire joue un rôle central dans la préparation des opérations, non seulement pour comprendre les intentions de l’ennemi, mais aussi pour sélectionner les cibles et identifier les points forts à neutraliser ou surveiller en permanence.
Ce que nous avons vu récemment en Iran rappelle ce qui s’est produit au Liban pendant la dernière guerre, notamment avec le ciblage de dirigeants du Hezbollah, l’opération des bipeurs ou encore la destruction d’infrastructures stratégiques du parti. Tout cela a été rendu possible grâce au renseignement militaire: une surveillance extrêmement précise, l’exploitation de technologies avancées comme les satellites, ainsi que des opérations d’infiltration qui ont permis de recueillir des informations essentielles, lesquelles ont été traitées par l’intelligence artificielle pour affiner les frappes.
L’assassinat ciblé de dirigeants repose bien entendu sur des renseignements, mais aussi sur des techniques précises de surveillance qui permettent de connaître leur lieu de résidence et leurs déplacements. Il en va de même pour les sites aéromilitaires ou nucléaires. Toute précision dans la sélection des cibles procède avant tout d’un travail de renseignement. Aucune frappe ne pourrait avoir lieu sans une connaissance militaire préalable et approfondie du terrain.
2. Selon certains médias israéliens, une partie de l’opération aurait été menée directement depuis le territoire iranien, avec des bases de drones et des équipes infiltrées. Dans quelle mesure ces informations sont-elles crédibles? Et comment Israël aurait-il pu opérer depuis l’intérieur d’un pays réputé pour son système sécuritaire extrêmement fermé? Cela suppose-t-il une présence physique sur le terrain, des relais locaux ou des capacités technologiques avancées?
Les affirmations selon lesquelles Israël aurait utilisé une base de drones située à l’intérieur même du territoire iranien, ou encore des équipements électroniques sophistiqués tels que des capteurs sensibles, des dispositifs à rayons laser ou autres technologies de guidage, sont tout à fait plausibles.
Ce n’est pas la première fois que l’on constate la capacité d’Israël à pénétrer en profondeur dans le territoire iranien. Rappelons par exemple les assassinats précédents de scientifiques nucléaires iraniens, ou encore l’opération du Mossad, en 2018, qui a permis de s’emparer d’archives confidentielles liées au programme nucléaire iranien. Sur la base de ces documents, le président américain Donald Trump avait justifié le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire, lors de son premier mandat. L’infiltration israélienne est donc une réalité. Jusqu’où peut-elle aller? Très loin.
Le talon d’Achille du régime iranien réside dans l’absence d’un front interne uni. L’opposition est forte, les fractures religieuses et ethniques sont nombreuses, et cela facilite les opérations de pénétration dans un système pourtant très fermé, répressif et qui détient l’un des taux d’exécution les plus élevés au monde. Israël exploite ces vulnérabilités en implantant des dispositifs d’écoute ou de surveillance à proximité des lieux sensibles, qu’il s’agisse de résidences de personnalités importantes des Gardiens de la Révolution ou de scientifiques nucléaires.
Quant à l’existence d’une base clandestine de drones en Iran, il est fort probable que ces appareils aient été introduits par des voies détournées, stockés, puis assemblés pour être utilisés lors d’opérations ciblées. Les résultats observés – la mise hors service du réacteur de Natanz, l’élimination de cadres scientifiques, l’effet de surprise et la paralysie des défenses aériennes – démontrent que les frappes ont été coordonnées avec une extrême précision. Les avions ont pu opérer librement à l’intérieur du territoire iranien, ce qui témoigne d’une véritable neutralisation préalable des défenses locales.
Il faut comprendre que le système sécuritaire iranien est avant tout mobilisé sur deux fronts: la répression de l’opposition intérieure et la surveillance des membres du régime eux-mêmes, par crainte de conspirations ou de coups d’État. Il n’y a pas, à proprement parler, d’appareil de contre-espionnage intelligent. Ce que l’on observe, ce sont surtout des pratiques coercitives. Le régime s’appuie sur des services de sécurité orientés vers la protection du pouvoir, non vers une véritable détection externe des menaces. Cela ouvre un champ d’action au renseignement israélien, qui peut s’appuyer sur ces failles.
3. Peut-on dire que le renseignement, l’intelligence artificielle et la technologie sont devenus l’arme centrale de toute confrontation?
Sans aucun doute. Ce n’est pas nouveau, mais c’est aujourd’hui plus évident que jamais: le renseignement militaire, l’intelligence artificielle et les technologies de pointe sont au cœur de toute opération militaire réussie.
Plus les outils technologiques évoluent, plus la collecte d’informations précises devient accessible. Et plus ces informations sont facilement analysées et traitées, plus elles peuvent être transformées en données utiles pour la conduite des opérations. Les pays qui maîtrisent ce cycle technologique ont un avantage décisif sur le terrain militaire.
Dans le cas présent, on observe un véritable fossé entre Israël et l’Iran en matière de technologies et d’intelligence artificielle. La guerre que nous venons d’observer l’illustre: l’Iran s’est retrouvé incapable de répondre. Et les conflits de demain seront dominés par cette composante technologique et intelligente. C’est une nouvelle génération de guerre qui se dessine, à laquelle de nombreux pays, dont l’Iran, ne sont tout simplement pas préparés.
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