Ces armes chimiques que Téhéran cache au monde
Une unité de soldats vêtus de combinaisons de protection contre les armes chimiques défile le 24 septembre 1995 devant l'ancien président iranien Ali Akbar Hachemi Rafsandjani et des responsables des forces armées iraniennes lors des célébrations marquant le 15e anniversaire du début de la guerre Iran-Irak. ©AFP

Malgré les engagements (factices) de l’Iran au sein des conventions internationales, de nombreuses sources pointent du doigt l’existence d’un arsenal chimique, biologique et radiologique actif ou en développement.

Ces inquiétudes, longtemps reléguées au second plan, refont surface à mesure qu’une épée de Damoclès est suspendue au-dessus des turbans des mollahs. D’un côté, Israël affirme être capable de renverser le régime; de l’autre, les États-Unis signalent la possibilité d’une intervention directe. L’Iran, lui, voit ses moyens conventionnels mis en échec.

Une menace silencieuse mais persistante

Le ver était déjà dans le fruit durant la guerre Iran-Irak. Des rapports des renseignements américains et irakiens, cités par le think tank Wilson Center, démontrent que Téhéran a développé dès 1983 son propre programme d’armes chimiques.

Ce programme, conçu initialement comme une riposte à l’usage massif de gaz moutarde et de tabun par Bagdad, a été alimenté par des transferts de technologie syriens et des acquisitions en Europe occidentale, notamment en Allemagne de l’Ouest.

Lors de la ratification de la Convention sur les armes chimiques (CWC) en 1997, l’Iran a reconnu avoir produit plus de 20 tonnes d’agents vésicants (substances toxiques qui provoquent des brûlures et la formation de cloques), tout en affirmant, contre les faits, ne jamais les avoir intégrés à des munitions opérationnelles.

Selon le Wilson Center, cette version est contredite par la découverte, en Libye en 2011 et 2012, de bombes aériennes iraniennes contenant du gaz moutarde, preuve que ces agents ont bel et bien été militarisés.

La politique de l’opacité

Autrement dit, l’Iran a menti à l’OPCW (Organisation pour l'interdiction des armes chimiques) sur la portée réelle de son programme chimique. Cette dissimulation, ancrée dans sa culture stratégique, rend d’autant plus inquiétants les signaux contemporains.

Un rapport du think tank américain Center for Strategic and International Studies (CSIS) souligne les lacunes dans l’accès aux données ouvertes sur les programmes biologiques et chimiques iraniens, mais rappelle que Téhéran en possède la capacité technique. Déjà, en 1997, la CIA estimait que l’Iran détenait des stocks d’agents vésicants, suffocants et hémotoxiques.

Plus récemment, en novembre 2024, le think tank américain Institute for Science and International Security (ISIS) a tiré la sonnette d’alarme sur la production militaire d’agents incapacitants, comme le fentanyl et la médétomidine.

L’ISIS rappelle que, selon des documents internes piratés, l’université Imam Hossein, affiliée au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), aurait testé des grenades remplies de médétomidine fabriquées par le ministère iranien de la Défense, avec des résultats inquiétants.

Ces armes, sous forme d’aérosols ou de cartouches, pourraient être diffusées par drones multirotors, ou remises à des milices pro-iraniennes.

Un régime rodé à la dissimulation

 L’Iran a une longue tradition de mensonge stratégique. Son programme nucléaire a été jugé à maintes reprises «incomplet» par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui le suspecte de dissimuler du matériel et des sites. Cette culture du secret s’étend au domaine chimique: l’OPCW s’est vu refuser plusieurs inspections et l’ISIS souligne que l’Iran est probablement en violation de la Convention sur les armes chimiques.

Pire encore, l'utilisation passée par les milices pro-iraniennes de grenades lacrymogènes modifiées contre des manifestants en Irak en 2019, sur les conseils de l’ancien chef des Gardiens de la révolution Qassem Soleimani, met en exergue une volonté délibérée d’utiliser ces armes contre des civils.

De même, l’ancien dictateur syrien Bachar el-Assad a utilisé des armes chimiques au moins à trois reprises entre 2013 et 2018, période durant laquelle il a reçu une aide militaire importante de l'Iran. Pour rappel, la force Al-Qods, la branche en charge des opérations extérieures du CGRI, a représenté un soutien essentiel à Assad sur le terrain contre l'opposition syrienne.

Bombe sale: le cas inquiétant de l’iridium-192

On ne peut aussi s’empêcher de penser à la bombe sale, une bombe radiologique visant à contaminer une zone plutôt qu’à la détruire. Selon i24 News, des autorités iraniennes ont informé l’AIEA, en novembre 2016, du vol d’iridium-192 dans une installation nucléaire située à Bushehr, sur la côte du Golfe persique.

Si elle est combinée à un explosif conventionnel, cette matière radioactive peut entraîner une contamination durable, rendant l’accès à la zone extrêmement risqué pendant des années.

Pour le think tank américain Foreign Policy Research Institute (FPRI), les bombes sales sont une menace bien réelle dans un Moyen-Orient saturé d’acteurs non étatiques, et l’Iran figure en bonne place sur la liste des États susceptibles de fournir les moyens ou la matière radioactive à ses alliés.

Contrairement à l’arme nucléaire, une bombe radiologique ou un agent incapacitant pharmaceutique offre à l’Iran ce qu’il recherche depuis des années, à savoir un effet dissuasif, à moindre coût, sans signature claire. Le fentanyl ou l’iridium peuvent être utilisés par des intermédiaires, des proxys, ou même des saboteurs dans les pays ennemis.

C’est cette zone grise, cette stratégie du flou, que le régime iranien exploite avec brio, de Beyrouth à Sanaa, en passant par Gaza. En cela, le retour aux armes chimiques et radiologiques n’est pas une aberration tactique, mais une évolution logique de sa doctrine de confrontation.

Face à l’affaiblissement de ses capacités militaires conventionnelles, au déclin de ses réseaux paramilitaires et aux limites de son arsenal de missiles de précision, l’Iran pourrait être tenté de miser sur des moyens «hétérodoxes» (pour euphémiser) afin de maintenir un certain pouvoir de dissuasion. Ces armes, chimiques, biologiques ou radiologiques, présentent en effet l’avantage d’un usage discret, à fort impact psychologique, tout en réduisant les risques d’escalade vers un affrontement nucléaire direct.

En fin de compte, un régime moribond, anachronique, isolé et idéologiquement rigide est prêt à tout pour survivre.

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