Santé mentale en librairie: faut-il mieux classer les livres ?
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Alors que la santé mentale devient une cause nationale, des professionnels alertent sur l’organisation confuse des rayons en librairie. Ils plaident pour une meilleure distinction entre ouvrages scientifiques et contenus non validés.

Des professionnels du secteur appellent à distinguer les ouvrages sérieux de ceux relevant de données moins scientifiques.
Quand le psychiatre Hugo Baup entre dans plusieurs librairies, curieux d’y trouver son guide pratique de la santé mentale, il a «un peu de mal» à savoir vers quel rayon se tourner, s’étonnant d’un «mélange des genres» entre sciences et croyances.
«Les livres qui visent à vulgariser la science avec des sources précises sont mélangés avec d’autres sur le développement personnel, la naturopathie, ou des magiciens et rebouteux», raconte-t-il à l’AFP.
Dans une grande librairie parisienne, son ouvrage jouxte le dernier livre de Lise Bourbeau : une Canadienne dont la méthode de développement personnel Écoute ton corps a fait l’objet de «quelques signalements inquiétants» pour dérives sectaires, selon la Miviludes, consultée par l’AFP.
L’écrivaine y explique notamment comment devenir «son propre thérapeute» via un «décodage métaphysique» du corps.
Si «tout peut coexister», Hugo Baup, qui exerce en Dordogne, estime que les libraires pourraient «guider les acheteurs avec une meilleure signalétique».
Dans le Nord, Gladys Mondière, psychologue à Lille, déplore aussi la mise en avant par l’une des plus grandes librairies de France d’un rayon bien-être au premier étage, quand les ouvrages de psychologie sont cantonnés au sixième.
«C’est plus facile d’aller au premier étage qu’au sixième, tout comme c’est plus simple d’avoir des réponses toutes faites que plus élaborées», résume la présidente de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie (FFPP).

«Responsabilité intellectuelle»

Les deux professionnels ont signé une lettre ouverte adressée au Syndicat de la Librairie française (SLF), intitulée Comment les libraires peuvent contribuer à la grande cause nationale Santé mentale.
«Pourquoi consulter un professionnel quand il suffit d’acheter un livre de coaching ?», interroge Mickaël Worms-Ehrminger, chercheur en santé publique et initiateur de la lettre, dénonçant un mélange qui porte atteinte à la «crédibilité de la psychologie scientifique et de la psychiatrie» et pouvant entraîner des «pratiques dangereuses».
Publiée fin mai, elle a modestement recueilli près de 1 200 signatures, mais a été relayée par le SLF, qui a rappelé qu’il est «essentiel de ne pas faire coexister côte à côte des titres sans équivalence scientifique», tout en précisant que ces pratiques concernent «principalement la grande distribution culturelle».
«Nous avons une responsabilité intellectuelle et sociale, mais la profusion d’ouvrages et leur ambivalence viennent aussi de l’édition», explique Ingrid Ledru, gérante de la librairie Le Livre en Fête à Figeac et membre du conseil d’administration du SLF, qui a fait le choix de ne pas proposer de rayon ésotérisme.
Car c’est l’éditeur qui choisit la catégorie dans laquelle classer son ouvrage, si bien qu’un livre sur l’anxiété peut être rangé en psychologie sans être écrit par un professionnel de la santé mentale. Les libraires ont ensuite la responsabilité de décider où les placer physiquement.

«Commerçante, pas soignante»

Par exemple, le livre du journaliste Nicolas Demorand, qui raconte sa bipolarité, est dans les meilleures ventes de la catégorie sciences humaines sur le site internet de la Fnac.
«C’est un témoignage sérieux, il ne finit pas par conseiller d’aller sniffer des plantes dans la pampa pour aller mieux», souligne Alexandra Charroin Spangenberg, présidente du SLF.
Mais elle insiste pour se dire «commerçante, pas soignante». «C’est aussi la responsabilité des éditeurs, quand on parle de santé mentale, de glisser un message clair: +si vous allez mal, consultez un professionnel.+»
Dans sa librairie, elle explique tout de même disposer d’«une pile des +Quatre Accords toltèques+» sur une table, «parce que j’en ai assez qu’on me le demande».
Cet ouvrage culte de développement personnel de Miguel Ruiz, paru en 1997, se positionne en première place des ventes entre 2022 et 2024, dans les catégories confondues sciences humaines, pratique et ésotérisme, selon l’observatoire des librairies du SLF, constitué d’un panel de près de 500 librairies en France et en Belgique.
Les psychiatres français Boris Cyrulnik et Christophe André figurent plus loin dans le classement (3e et 7e), devancés aussi par Lise Bourbeau (2e).

Par Charlotte HOUANG / AFP

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