
Le Parlement libanais s’est réuni, mardi matin, pour un débat de politique générale, conformément aux articles 136 et 137 du règlement intérieur de la Chambre.
Cette réunion, qui devrait se poursuivre dans l’après-midi, a porté sur des sujets cruciaux, notamment la souveraineté de l’État, la question des armes illégales, l’application de l’accord de Taëf et les affaires gouvernementales.
Dans un souci d’organisation de la séance, le président du Parlement, Nabih Berry, a, de prime abord, fixé les règles d’intervention, limitant les prises de parole (d’une durée de 10 minutes chacune) à une seule pour tout bloc disposant de cinq députés, deux pour tout bloc de dix députés, trois pour ceux regroupant 15 députés et quatre pour ceux comptant 20 parlementaires. Il a, par ailleurs, promis qu’après chaque trois réunions législatives, il convoquera un débat de politique générale.
Souveraineté et désarmement: appels à des décisions fermes
La question du désarmement du Hezbollah et de la souveraineté de l’État a dominé les interventions. Le député Georges Adwan (Forces libanaises) a appelé le gouvernement à «fixer un calendrier pour le démantèlement des structures miliciennes et le désarmement des factions armées», estimant que «nous disposons actuellement d’une chance ultime pour agir rapidement».
Il a, dans ce contexte, affirmé que «le cœur du problème est lié à la notion d’État». Selon lui, les Libanais espèrent que le nouveau gouvernement pourra mettre fin à une situation marquée par l’existence d’un mini-État au sein de l’État. Or, a-t-il déploré, «aucune décision n’a encore été prise à cet effet, et l’autorité étatique n’a toujours pas été imposée».
De son côté, le député Ibrahim Kanaan a posé une série de cinq questions fondamentales au gouvernement, exigeant des réponses claires, «basées sur l’intérêt national, et non sur des calculs politiques».
Parmi ses interrogations, la résolution 1701 du Conseil de sécurité a été placée au centre des préoccupations: «Où en est sa mise en œuvre, notamment le retrait israélien et la cessation des hostilités? Le Parlement a-t-il été informé des réponses du négociateur américain sur le contrôle exclusif des armes par l’État?», a-t-il demandé, rappelant que l’article 52 de la Constitution confère au président de la République un rôle central dans les négociations, mais que la responsabilité doit être partagée par l’ensemble des institutions.
M. Kanaan a également interpellé le gouvernement sur le dossier des déplacés syriens: «Y a-t-il des négociations sérieuses avec l’État syrien? Des discussions avec les États-Unis ou la communauté internationale? Pourquoi ce retard?» Il a rappelé avoir présenté, à plusieurs reprises, une proposition de loi pour geler les fonds reçus par les déplacés via les banques libanaises, évoquant la possibilité de leur retour, notamment dans un contexte post-changement de régime en Syrie.
Le député de Zghorta, Michel Moawad a, lui aussi, insisté sur la nécessité de capitaliser sur le changement en cours dans la région pour rétablir la souveraineté libanaise: «Le succès du gouvernement se mesurera à sa capacité à tirer profit des changements dans la région pour édifier un État. Nous avons une chance historique de ramener le Liban à ce qu’il était, mais cette fenêtre d’opportunité est limitée dans le temps.»
Saluant les positions du gouvernement sur le désarmement des groupes, il a regretté toutefois l’inertie actuelle: «Nous faisons du surplace. Si nous ratons cette occasion, nous risquons de devenir le ‘Cuba d’Orient’.» Et d’interroger l’Exécutif: «Quel est le plan envisagé par le cabinet à ce niveau et selon quel calendrier?»
Dans le même esprit, le député Nadim Gemayel (Kataëb) a dénoncé l'opacité autour des échanges entre les autorités libanaises et l’émissaire américain, Tom Barrack, lors de sa dernière visite à Beyrouth: «Nous ignorons tout des réponses qui lui ont été données. Cette approche nuit au fonctionnement des institutions et ne peut perdurer.» Il convient de rappeler, à cet égard, que la réponse américaine aux observations libanaises a été transmise mardi matin à Beyrouth. Elle constitue une réaction aux observations formulées par la partie libanaise au sujet de la feuille de route soumise par M. Barrack en juin dernier, portant notamment sur le désarmement du Hezbollah, la souveraineté territoriale et la démarcation des frontières.
Se penchant sur la question des armes, M. Gemayel a souligné qu’elles doivent être seulement entre «les mains de l’État, qui doit agir fermement concernant cette question».
De son côté, le député Kassem Hachem (proche du mouvement Amal) a plaidé pour «une stratégie de défense nationale» fondée sur le dialogue, précisant que «l’action du gouvernement doit avant tout préserver les intérêts du pays».
À son tour, le député Fouad Makhzoumi a dénoncé une «confusion» gouvernementale sur tous les fronts, appelant à la mise en œuvre immédiate de la déclaration ministérielle et à l’imposition d’un climat de sécurité «d’une main de fer». Il a notamment plaidé pour un pays sans armes, pour l’application stricte du cessez-le-feu et pour une mobilisation accrue de l’armée au Liban-Sud.
Le député Ziad Hawat a, quant à lui, affirmé que «l’État est la clé pour résoudre tous les problèmes» et que le moment est «décisif». Il a dénoncé l’inaction face à une situation catastrophique: «Certains nient la catastrophe, mais pour faire face au danger au Liban, il faut une décision nationale majeure.» Insistant sur le monopole des armes, il a déclaré: «Il est encore interdit à l’État, censé monopoliser les armes, d’agir au Liban.» Selon lui, le pays est «en danger», pris en étau entre «un groupe qui a engagé le Liban dans une guerre» et un autre «attaché à la Constitution».
Vers une motion de censure?
Interrogé sur une éventuelle motion de censure contre le gouvernement, le député Pierre Bou Assi (Forces libanaises) a affirmé que «toutes les options sont envisageables». Nadim Gemayel a quant à lui temporisé: «Notre ministre fait partie de l’équipe gouvernementale et nous ne cherchons pas à renchérir.»
Il faut dire que bien que la séance plénière consacrée au débat de politique générale ne vise pas explicitement à accorder ou retirer la confiance au gouvernement, elle peut y conduire. Selon l’article 138 du règlement intérieur du Parlement, un vote de confiance peut être demandé, à l’issue des discussions, par le gouvernement ou par tout député. Ce même article encadre plusieurs cas où un projet de loi, une motion ou une initiative individuelle peuvent se transformer en test de confiance, impliquant potentiellement le gouvernement dans son ensemble ou un ministre en particulier. Le débat actuel, bien qu’à caractère général, peut donc devenir un levier politique majeur pouvant ébranler l’équilibre gouvernemental.
Justice sociale et crise sanitaire
Le député Bilal Abdallah (Parti socialiste progressiste) a attiré l’attention sur la crise du secteur de la santé, en appelant à davantage de justice sociale: il a, de fait, dénoncé une situation dramatique: «Au Liban, des patients meurent chez eux et certaines personnes n’ont pas les moyens de se payer des médicaments». Et d’appeler à «instaurer la justice sociale dans tous les secteurs».
Unité nationale et réformes structurelles
Dans une intervention axée sur l’importance du consensus, le député Hadi Abou el-Hosn a appelé à «unifier la position libanaise pour renforcer les institutions constitutionnelles, sans s’attaquer au gouvernement, ni céder à la surenchère partisane». Il a, dans ce sens, proposé de définir des «constantes nationales» autour desquelles les différentes parties prenantes pourraient s’accorder.
Sur le plan économique, le député Michel Moawad a déclaré soutenir un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), à condition de le «renégocier» pour protéger les plus vulnérables. Il a appelé à préserver les droits des déposants et à «en finir avec l’économie noire», insistant sur la nécessité de réformes structurelles pour sortir de l’impasse.
Dans le même ordre d’idées, M. Makhzoumi a fustigé la lenteur des réformes, se montrant inquiet de voir le Liban «condamné à l’isolement».
Le vice-président du Parlement, Elias Bou Saab, a, pour sa part, recentré le débat sur les fondamentaux de l’accord de Taëf. Il a rappelé que la Constitution prévoit «l’abolition du confessionnalisme politique et l’adoption d’une loi électorale moderne», avant de lancer: «Qu’avons-nous fait pour mettre en œuvre pleinement l’accord de Taëf?» Et d’interroger le gouvernement sur les mesures qu’il a adoptées pour libérer les territoires occupés par l’armée israélienne, faisant référence à ses engagements tels qu’édictés par le document d’entente nationale.
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