
Soixante jours tout au plus! Tel était le délai qui avait été brandi, crié et martelé haut et fort à la conclusion de l’accord de cessez-le-feu entre le Liban et Israël en novembre 2024.
Ce chiffre, devenu légendaire, avait été annoncé comme le compte à rebours décisif vers la paix au Liban. Depuis? On a eu droit à tout sauf à la paix: des prorogations, des prolongations, des redéfinitions de délais et, bien sûr, une série d’échanges diplomatiques aussi stériles que solennels. On en est aujourd’hui à 242 jours d’attente, de tension, de violations du cessez-le-feu et de littérature bureaucratique.
Dans cette saison 2 de la grande série diplomatique, «Désarmez-les si vous l’osez», ce sont de nouveaux délais qui s’accumulent. Ce sont de plus en plus de négociations qui se tiennent, se mêlent et s’entremêlent. Ce sont de plus en plus de comités qui se forment avant d’être dissous. Ce sont de plus en plus de plans, de lettres, de propositions, d’observations, de réponses aux observations, d’observations aux réponses qui s’échangent, s’entassent et qui surtout, restent lettre morte.
Mardi dernier, l’émissaire américain Tom Barrack a remis la tant attendue réponse de Washington aux remarques du Liban sur sa proposition du 13 juin. Une lettre arrivée par les bons soins d’un diplomate de l’ambassade à Aoukar, aujourd’hui promu facteur en chef des échanges Beyrouth-Washington. En charge de ce dossier à Beyrouth, le comité libanais, regroupant les trois présidences, s’est empressé de se réunir pour plancher sur ce document, toujours classé top secret, ce qui dans le jargon local signifie: sujet à toutes les spéculations.
La réponse américaine, de quoi s’agit-il?
Même si son contenu reste officiellement confidentiel, des bribes filtrent. Elles en disent long sur le casse-tête proposé par M. Barrack. Washington, dit-on, insiste sur un désarmement rapide du Hezbollah, tout en reconnaissant qu’un démantèlement forcé pourrait rallumer la guerre civile. Les États-Unis demandent donc au Liban de faire l’impossible: désarmer un acteur dont la branche armée est intrinsèque à sa survie, voire à la nature de son existence, sans faire usage de la force, ni déclencher un conflit interne. Et tout cela, avant la fin de l’année pour certains, avant le mois de novembre pour d’autres.
Et tout cela, à en croire certaines sources, selon un plan bien défini, structuré en trois étapes «géographiques». Au désarmement dans le sud et le nord du Litani, s’ajouterait, dans un second temps, une remise des armes à Beyrouth et dans sa banlieue, avant de déboucher, dans un troisième temps, sur la région de la Békaa. Toujours selon ce plan, le retrait progressif des armes lourdes (avant de passer aux moyennes) se ferait en contrepartie d’une hypothétique pression américaine sur Israël pour son retrait des cinq points occupés au Liban-Sud.
Sur le plan militaire officiel, Washington exigerait un plan technique de l’armée libanaise, qui devra désormais prendre le sud en main (rien n’aura donc changé depuis les revendications faites dans le cadre du cessez-le-feu). Autre condition: démanteler les infrastructures militaires palestiniennes dans les différents camps. Autrement dit, désarmer toute une «population» qui, elle, n’en a aucunement l’intention de le faire.
Et le Liban dans tout ça?
Que peut bien répondre le Liban? Que le Hezbollah ne remettra pas ses armes sans retrait israélien? Qu’aucun gouvernement n’a l’intention (ni la capacité) de l’y contraindre? Qu’on préfère «le dialogue» à l’usage de la force, parce qu’on n’a pas le courage de s’affirmer, de s’imposer et d’exiger le respect des textes de loi? Qu’on continue de faire croire que l’on croit à un possible désarmement «consensuel»? Rien de nouveau sous le cèdre.
Aujourd’hui, le Liban cherche à accoucher d’une réponse acceptée de tous, probablement vague, certainement sans échéancier et surtout sans conséquences immédiates. D’autant plus que si le Hezbollah, le gouvernement, les partis et les présidences partagent une chose, c’est la foi inébranlable dans la stratégie du temps: laisser passer les orages en espérant qu’ils se dispersent. Sauf que l’après-8 octobre ne ressemblera en rien à l’avant-8 octobre 2023, nous avait promis le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, au lendemain de l’offensive menée par le Hamas sur son territoire.
Et maintenant? Le comité présidentiel planche toujours et doit rendre sa réponse avant le 28 juillet, date à laquelle l’émissaire américain est censé revenir à Beyrouth. Dans l’intervalle, les tirs se multiplient contre les régions du Liban, notamment au sud et dans la Békaa, Israël poursuit ses frappes ciblées, le Hezbollah continue de revendiquer la «résistance», et l’État libanais est dans l’attente. Il attend quoi? Que la tempête passe, que les lignes bougent seules ou que les autres fassent le travail à sa place.
Cela dit, une chose est sûre: après plus de 240 jours depuis la conclusion du cessez-le-feu, les délais sont toujours élastiques, la souveraineté théorique, et la paix… une question de calendrier toujours repoussé.
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