Liban: le cri d’alerte des médecins, des infirmiers et des hôpitaux
Les cinq acteurs clés de la conférence de presse, unis pour alerter sur la crise du système de santé libanais. ©Makram Haddad

Les professionnels de la santé libanais ont pris la parole lors d’une conférence de presse à Beyrouth pour exposer, selon eux, les difficultés aiguës que traverse leur secteur. Médecins pointés du doigt, infirmiers en exode, hôpitaux en lutte contre de graves contraintes structurelles: une alerte est lancée.

Avez-vous un jour pensé à la souffrance des hôpitaux? C’est par cette question poignante qu’a débuté la conférence de presse organisée jeudi à Beyrouth par le Bikhazi Medical Group (BMG). Devant un parterre de journalistes et de professionnels de santé, les responsables hospitaliers et syndicaux ont exposé, sans détour, les souffrances d’un secteur en crise.

Un cri du cœur hospitalier

Rima Bikhazi, directrice générale du BMG, a ouvert la séance par une intervention empreinte de gravité:

«Cette initiative est d’abord un cri du cœur adressé à la société. Derrière les murs des hôpitaux, il y a des êtres humains qui luttent chaque jour, souvent dans l’indifférence.»

Un procès permanent

Le Dr Khalil Achkar, directeur médical de l’établissement, a dénoncé une dérive inquiétante:

«À chaque complication médicale, le médecin devient le coupable désigné. On publie son nom en toutes lettres, comme s’il s’agissait d’un criminel, alors que dans d’autres affaires, on protège l’identité des suspects.»

Il a rappelé que les hôpitaux ont tenu bon dans les pires crises: l’explosion du port de Beyrouth, la pandémie de Covid-19, les périodes de guerre.

«Nous avons continué à soigner et à sauver, parfois sans électricité ni matériel. Et pourtant, les accusations fusent.»

Infirmiers: les grands oubliés du système

Lors de cette tribune publique, la voix de Abir Alamé, présidente de l'Ordre des infirmières du Liban, a résonné comme un cri du cœur:

«Qui est au chevet du patient, jour et nuit? Qui rassure les familles, administre les soins, enseigne, fait de la recherche? Les infirmiers. Et pourtant, ce sont eux qu’on néglige en premier.»

Elle a dénoncé la situation insoutenable du personnel infirmier: salaires dérisoires, surcharge de travail, exode massif.

«À cause des conditions précaires, nous avons perdu une partie précieuse de nos effectifs. Ceux qui restent supportent une pression énorme, ce qui affecte inévitablement la qualité des soins.»

Infirmiers au bord de la rupture

Le témoignage de Abir Alamé a illustré l’une des réalités les plus brutales du secteur infirmier au Liban. Face aux violences de guerre, au sous-effectif chronique et à l’absence de soutien psychologique, de nombreux soignants disent aujourd’hui leur lassitude. Dans ce contexte délétère, le Dr Elias Chelala, président de l’Ordre des médecins, a pris la parole pour appeler à un changement de regard.

«Bien entendu, les médecins ont des devoirs, des obligations. Ils doivent éviter les erreurs, respecter le secret médical. Mais on ne peut pas leur enlever leur contribution énorme au bon fonctionnement du système de santé.»

Il a évoqué les sacrifices humains consentis par le personnel soignant, en première ligne face à toutes les crises:

«Pendant la Covid, lors de l’explosion du 4 août, face à l’afflux de centaines de patients, lors de l’épisode des bipeurs – ces dispositifs explosifs qui ont marqué le début de l’offensive israélienne de septembre 2024 – les soignants ont tout mis en œuvre pour traiter des blessés aux membres arrachés, aux visages défigurés, dans toutes les régions du Liban.»

Pendant la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël, les médecins ont également répondu présents, faisant leur devoir avec une dextérité et un dévouement rares.

Il a regretté que ces sacrifices soient trop vite oubliés et que les accusations pleuvent avec une facilité déconcertante:

«Il y a une tendance dangereuse à projeter le médecin dans le rôle de l’assassin, sans preuve, sans recul. La presse dégaine trop souvent des accusations sans fondement, détruisant des réputations avant toute vérification.»

Chelala a également abordé la crise silencieuse mais destructrice du secteur infirmier:

«On fait face à une véritable hémorragie. L’Hôtel-Dieu de France a perdu la moitié de ses infirmières. L’idée reçue selon laquelle les médecins vivraient dans l’opulence est fausse. Beaucoup peinent aujourd’hui à joindre les deux bouts.»

Concernant les assurances, il a dénoncé une situation hors de contrôle:

«En théorie, elles doivent payer dans les 90 jours. En pratique, c’est entre six et dix mois. Comment voulez-vous que le système tienne debout?»

Hôpitaux privés: entre méfiance et survie

Pierre Yared, président du syndicat des hôpitaux privés, a profité de cette prise de parole collective pour dénoncer l’hypocrisie ambiante:

«L’opinion publique est programmée contre nous. On nous accuse de cupidité, alors qu’en temps de crise, les mêmes viennent frapper à notre porte.»

Il a listé les défaillances qui étranglent les hôpitaux au quotidien: des tarifs hospitaliers jamais révisés depuis 1990, des retards de remboursement de la CNSS, une absence de subventions de la Banque du Liban, l’explosion du coût du fuel, et le poids du fonctionnement des générateurs électriques.

«Le simple fonctionnement d’un hôpital est devenu un cauchemar logistique. Et pourtant, on attend de nous un service parfait.»

À noter que, face à ce tableau sombre, plusieurs intervenants ont appelé à une intervention rapide de l’État pour éviter un effondrement du système hospitalier privé, pilier central des soins au Liban.

Yared a ainsi tenu à remettre les pendules à l’heure:

«Oui, les hôpitaux doivent dégager des bénéfices. Pas pour s’enrichir, mais pour renouveler les équipements, améliorer les salaires – surtout ceux des infirmiers. Dans tous les pays du monde, c’est une nécessité.»

Et de conclure sur une note d’espoir lucide:

«Le Liban reste un phare médical dans la région. Il doit le rester.»

Un système sous respirateur

Cette conférence de presse, plus qu’un simple échange avec les médias, a fait office de plaidoyer collectif. Les soignants ne réclament ni immunité ni privilèges, mais respect, justice et soutien structurel.

L’État, garant du bien commun, est aujourd’hui sommé d’agir non seulement comme arbitre, mais comme partenaire de sauvetage, en apportant une réponse budgétaire et logistique à la hauteur de l’urgence.

Sans réformes immédiates, le système hospitalier libanais risque de s’effondrer – et avec lui, un pan entier de la dignité nationale.

 

 

 

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