
Alors que les violents affrontements dans la province de Soueïda, au sud de la Syrie, entrent dans leur deuxième semaine, opposant, d’un côté, les tribus aux forces de l’armée syrienne et aux services de sécurité intérieure, et de l’autre, des groupes druzes, les questions se multiplient quant aux véritables motivations de l’implication israélienne dans ces événements. Peu semblent accorder foi à la justification officielle avancée par Tel-Aviv, qui prétend vouloir «protéger les druzes de Syrie». Quelles sont donc les véritables visées d’Israël en attisant les tensions sur le territoire syrien et en s’en prenant directement au régime du président Ahmad el-Chareh?
Pour en saisir les enjeux, il faut revenir au déclenchement des combats, survenu il y a une dizaine de jours, peu après une rencontre entre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et le président américain Donald Trump. Cette entrevue a mis en évidence des divergences sur plusieurs dossiers régionaux, notamment face aux pressions exercées par Washington pour que Netanyahou accepte le plan de cessez-le-feu proposé par l’Égypte, l’Arabie saoudite et le Qatar dans la bande de Gaza. Ce plan prévoit l’éviction du Hamas et la remise de l’administration locale à une force arabe placée sous commandement égyptien.
Cette perspective a ravivé les inquiétudes de Netanyahou, tant sur le plan intérieur en raison des retombées politiques potentielles et du risque de poursuites judiciaires, que sur le plan international, où des voix s’élèvent déjà pour réclamer son jugement pour crimes contre l’humanité.
Face à l’impasse des négociations engagées via l’Azerbaïdjan entre responsables syriens et israéliens, entravées par le refus catégorique de Damas de signer le moindre accord tant qu’Israël n’aura pas évacué les territoires occupés après la chute du régime Assad, Netanyahou semble avoir trouvé en Syrie une «porte de sortie honorable». De son côté, Israël conditionnait toute avancée diplomatique à la signature rapide d’un accord par Ahmad el-Chareh, en échange d’un retrait partiel.
C’est dans ce contexte que Tel-Aviv a accentué sa pression sur le président syrien, exigeant qu’il accélère la conclusion d’un accord, tout en réclamant la mise en place de zones démilitarisées le long de ses frontières avec la Syrie et le Liban.
Les affrontements ont pris une tournure confessionnelle, tout en s’inscrivant dans un contexte géopolitique, économique et commercial plus vaste, reflétant un conflit israélo-régional élargi. Les combats entre les tribus et les druzes, dont les loyautés sont partagées entre la Syrie et Israël, ont ravivé un vieux contentieux accentué par l’arrivée du nouveau pouvoir syrien, lequel semble toujours paralysé par les extrémistes ayant infiltré les institutions, notamment l’armée, et qui se sont livrés à des exactions contre la population.
Selon des milieux diplomatiques, la protection des druzes de Syrie ne saurait en aucun cas justifier le bombardement d’un bâtiment gouvernemental à Damas, situé à proximité du palais présidentiel. Ce bombardement s’apparente toutefois à un message on ne peut plus explicite adressé à Chareh, d’autant qu’une partie des forces militaires dépêchées à Soueïda pour rétablir l’ordre aurait commis des massacres, faits reconnus par Chareh lui-même, qui a promis de sanctionner les responsables. Cette reconnaissance l’a conduit à ordonner le retrait de ses troupes de la ville, alors qu’Israël menaçait d’intervenir et que la Turquie, de son côté, brandissait la menace d’un recours à l’aviation en cas d’incursion israélienne.
Les évènements à Soueïda soulèvent de nombreuses questions et véhiculent plusieurs messages. Parmi les principales interrogations: Netanyahou a-t-il réussi à imposer une forme de partition du territoire syrien et à orchestrer un transfert de population, notamment des tribus, afin de sécuriser le «corridor de David» menant jusqu’à Erbil? Israël reprend-il son ancien rôle de «protecteur des minorités» au Proche-Orient, un rôle qu’il avait tenté, sans succès, d’assumer au Liban en 1982? Recourt-il désormais à des moyens de pression sur le président Ahmad el-Chareh pour le contraindre à signer un accord politique avec lui? Israël continue-t-il de revendiquer la création de zones démilitarisées le long de ses frontières avec le Liban et la Syrie?
Du côté des messages, des sources diplomatiques soulignent que l’escalade initiée par Netanyahou en Syrie vise avant tout à échapper à toute poursuite judiciaire, tant sur le plan intérieur qu’à l’international, dans l’hypothèse où un accord de cessez-le-feu serait conclu à Gaza. En effet, ce dernier cherche également à imposer une nouvelle équation sécuritaire: «aucune arme hors de la légitimité de l’État», tout en exerçant des pressions sur le président syrien pour qu’il rompe avec les extrémistes et entame une opération de «purification» du territoire syrien.
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