Poésie et chants sauvent une langue antique d’Oman
Une vue aérienne montre un site touristique sur le lac Wadi Darbat, dans la région du Dhofar, près de la ville omanaise de Salalah, le 25 juillet 2025. ©AFP

Dans le Dhofar, région montagneuse et côtière du sud d’Oman, une langue millénaire lutte pour sa survie face à la domination de l’arabe. Poètes et habitants s’appuient sur la tradition orale pour préserver le jibbali, un idiome en danger.

Dans les hauteurs verdoyantes du sud d'Oman, des hommes en habits traditionnels déclament, dans une langue ancestrale, des poèmes séculaires pour préserver cet idiome parlé par à peine 2 % de la population du sultanat.
Assis sous une tente, le poète Khaled Ahmed al-Kathiri récite des vers, repris en chœur par des hommes en robes blanches. «La poésie jibbali est un moyen pour nous de préserver notre langue et de la transmettre aux jeunes générations», confie-t-il à l’AFP.
La grande majorité des Omanais parlent l’arabe, mais dans la région côtière et montagneuse du Dhofar, frontalière du Yémen, on parle le jibbali («originaire des montagnes» en arabe), également appelé shehri.
«Une langue en danger» d’extinction, alerte le chercheur Ali Almashani à propos de cet idiome qui ne compte plus que 120 000 locuteurs dans un pays de 5 millions d’habitants.
Alors que l’AFP s’entretient avec le poète, une discussion animée s’engage entre ses compagnons pour savoir si leur langue doit être appelée jibbali ou shehri, et s’il s’agit ou non d’un dialecte de l’arabe.

«Isolement»

Il s’agit d’une langue à part entière, dotée de sa propre syntaxe et de sa propre grammaire, tranche M. Almashani, précisant qu’elle a historiquement servi à composer de la poésie, des proverbes et à transmettre des récits légendaires.
Antérieur à l’arabe, le jibbali-shehri plonge ses racines dans les langues sudarabiques sémitiques, relève le chercheur, qui combine les deux appellations par souci de neutralité.
Selon lui, «c’est une langue très ancienne», longtemps «protégée par l’isolement du Dhofar»: «Les montagnes l’ont protégée à l’ouest, le désert du Rub al-Khali (le quart vide, ndlr) au nord et l’océan Indien au sud», créant des barrières naturelles.
Mais isolement ne rime pas forcément avec survie.
D’autres langues originaires du Dhofar, comme le bathari, sont quasiment éteintes, «parlées par deux ou trois locuteurs», rappelle le chercheur.
Certains redoutent que le jibbali ne connaisse le même sort.
À l’image de Saïd Chamas, 35 ans, militant sur les réseaux sociaux pour le patrimoine dhofari, qui estime essentiel d’élever ses enfants dans un environnement jibbali afin de contribuer à la survie de cette langue.
Dans les foyers, les enfants grandissent en parlant la langue de leurs ancêtres, en fredonnant des chansons populaires et en mémorisant des poèmes anciens.

Pas enseigné

«Si tout le monde autour de vous parle le jibbali, de votre père à votre grand-père, en passant par votre mère, alors c’est ce dialecte, ou cette langue, que vous parlerez», note-t-il.
Les poèmes et chants anciens, ajoute-t-il, permettent aussi de préserver un vocabulaire aujourd’hui tombé en désuétude. Et si l’arabe est enseigné à l’école et compris par la majorité, la plupart des parents continuent de s’adresser à leurs enfants dans leur langue maternelle.
Après une récitation de poèmes, de jeunes enfants assurent à l’AFP qu’ils préfèrent parler le jibbali plutôt que l’arabe.
Un enthousiasme qui, pour M. Almashani, ne suffit pas à écarter le spectre d’une extinction: la langue n’est ni enseignée à l’école ni correctement documentée.
Mais les lignes bougent: des efforts ont été entrepris ces dernières années pour étudier le jibbali, le plan économique Vision 2040 d’Oman faisant de la préservation du patrimoine une priorité.
Avec son équipe, M. Almashani espère obtenir le soutien de l’université du Dhofar pour la création d’un dictionnaire d’environ 125 000 mots traduits en arabe et en anglais.
Le projet comprendra également une version numérique intégrant une fonction de prononciation pour restituer les sons les plus spécifiques.

Par Maha LOUBARIS / AFP

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