Nüshu: l'écriture secrète des femmes qui séduit la jeunesse chinoise
Cette photo prise le 14 avril 2025 montre l'enseignante Xu Yan en train d'écrire des caractères nüshu lors d'un atelier à Pékin. ©Pedro PARDO / AFP

Créé il y a près de quatre siècles dans le comté rural de Jiangyong, au Hunan, le nüshu, littéralement «écriture des femmes» refait surface en Chine. Longtemps transmis en secret entre femmes privées d’éducation, ce système d’écriture unique, à la fois esthétique et porteur de mémoire, suscite aujourd’hui un nouvel engouement, notamment chez les jeunes générations. Ateliers, publications sur les réseaux sociaux et initiatives culturelles participent à la redécouverte de ce patrimoine immatériel, symbole de résilience et d’expression féminine.

Dans un atelier de la province chinoise du Hunan (centre), une enseignante trace doucement avec un pinceau à encre les caractères d'une écriture secrète inventée il y a des siècles par des femmes.

Le nüshu, littéralement «écriture des femmes», a été créé il y a environ 400 ans, à une époque où les femmes n'avaient pas accès à l'enseignement et donc à l'écriture. Grâce à cette écriture, des femmes ont pu communiquer entre elles à travers des lettres, des chansons, ou encore la broderie.

Transmis de génération en génération parmi les femmes du comté idyllique de Jiangyong, le nüshu connaît aujourd'hui un regain de popularité à travers toute la Chine, considéré comme un symbole de force féminine.

Pan Shengwen, étudiante de 21 ans, explique que le nüshu permet aux femmes de communiquer en toute sécurité. «Cela crée en quelque sorte un sanctuaire pour nous», confie-t-elle à l'AFP. «Nous pouvons exprimer nos pensées, nous confier entre sœurs, parler de tout», ajoute-t-elle.

Comparés aux sinogrammes, les mots en nüshu sont phonétiques, moins carrés, plus fins et prennent la forme de feuilles d'arbre.

«Quand on écrit… il faut que la respiration soit calme, et alors seulement le pinceau peut être stable», explique la jeune femme.

Sur Xiaohongshu – une application chinoise similaire à Instagram –, le hashtag "Nushu" atteint les 72 millions de vues, pour l'essentiel des publications de jeunes femmes partageant des photos de tatouages ou d'autres créations intégrant l'écriture.

He Jingying, également étudiante, explique que c'est sa mère qui l'a initialement inscrite à un cours de nüshu. Cette pratique lui procure «un profond sentiment de sérénité». «Quand le pinceau touche le papier, on sent comme une force en soi», décrit-elle.

Un cri contre l'injustice

Le nüshu est bien plus qu'un simple système d'écriture: il reflète l'expérience des femmes du comté rural de Jiangyong, explique Zhao Liming, professeure à l'Université Tsinghua de Pékin.

«C'était une société dominée par les hommes», précise celle qui a étudié pendant quarante ans le nüshu. «Les œuvres de ces femmes étaient un cri contre l'injustice».

Les mots du nüshu se lisent en dialecte local, compliquant l'apprentissage pour les habitants d'autres régions. Mais son élégance et sa rareté expliquent le regain d'intérêt pour cette écriture, estime la professeure He Yuejuan.

«Cela semble très apprécié, notamment parmi les étudiants en arts», confie-t-elle devant sa galerie où elle vend des bijoux colorés et des châles ornés d'inscriptions en nüshu.

Originaire du Jiangyong, l'enseignante raconte que le nüshu faisait «partie du quotidien» pendant son enfance.

Elle fait partie des 12 «héritières» du nüshu reconnues par le gouvernement et a désormais le droit de l'enseigner.

«Unique»

À environ une heure de route, près d'une centaine d'élèves se sont retrouvés dans la salle d'un hôtel pour suivre un atelier d'une semaine organisé par les autorités locales afin de promouvoir le nüshu.

Zou Kexin, l'une des nombreuses jeunes femmes présentes, confie à l'AFP qu'elle avait entendu parler du nüshu sur les réseaux sociaux, et voulait «l'expérimenter elle-même».

«C'est un système d'écriture unique aux femmes, ce qui le rend vraiment spécial», dit cette étudiante d'une université du Sichuan.

Tao Yuxi, étudiant en animation de 23 ans, est un des rares hommes à participer à l'atelier.

Lui souhaite apprendre le nüshu pour trouver de l'inspiration dans ses créations, malgré l'incompréhension de sa tante.

Même s'il a été créé par des femmes, le nüshu fait partie du patrimoine culturel national, estime-t-il. «Tout le monde devrait s'employer à le préserver, qu'on soit femme ou homme».

Par Isabel KUA avec Emily WANG à Shanghai / AFP

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