À Tripoli, le dernier artisan libanais de tarbouches perpétue un art en voie de disparition
L'artisan libanais Mohammed Al-Shaar coupe le pompon d'un tarbouche, également connu sous le nom de «fez», dans son atelier situé dans la ville côtière de Tripoli, au nord du Liban, le 6 août 2025. ©Joseph EID / AFP

Dans le cœur ancien de Tripoli, entre les échoppes du vieux souk, résonne encore le bruit des mains de Mohammed Al-Shaar sur le feutre. Dernier artisan libanais à confectionner des tarbouches, il lutte, à 38 ans, pour préserver un héritage familial menacé par l’oubli, dans un pays en proie aux crises.

Dans les ruelles étroites du souk de Tripoli, une ville côtière du nord du Liban, l'atelier de Mohammed Al-Shaar, dernier fabricant de tarbouches du pays, perpétue l'art traditionnel de la confection de ces couvre-chefs hérités de l'Empire ottoman.

Le plus souvent rouges, mais aussi bordeaux, verts ou noirs, ornés de motifs fleuris, brodés du cèdre libanais ou plus sobres: Mohammed Al-Shaar, barbe et moustache noires, propose à ses clients une large gamme de tarbouches, également connus sous le nom de «fez» dans les pays arabes.

Depuis 25 ans, ce Tripolitain aux yeux ébène préserve ce savoir-faire transmis par son grand-père, malgré des ventes en chute libre ces dernières années.

Bien qu'aujourd'hui le tarbouche soit surtout un objet symbolique ou destiné aux touristes, il reste le fruit d'un véritable «métier artisanal ancestral», assure l'artisan.

Un art transmis «de père en fils», bien que Mohammed Al-Shaar, 38 ans, soit allé se former en Égypte. «Cela fait 125 ans que notre famille exerce ce métier», dit-il.

Particulièrement répandu sous l'Empire ottoman, notamment après la promulgation en 1829, par le sultan Mahmoud II, de l'obligation du port du fez pour les dignitaires, le tarbouche est présent au Liban depuis plusieurs siècles.

«C'était un vêtement du quotidien et les Libanais en étaient fiers», affirme Mohammed Al-Shaar.

Art en péril?

Plus qu'un symbole de prestige ou un marqueur social, ce couvre-chef de feutre servait aussi de système de communication «non verbale».

«Quand quelqu'un voulait séduire une belle jeune femme, il inclinait légèrement son tarbouche à gauche ou à droite. Et lorsqu'une personne voulait humilier quelqu'un, elle faisait tomber son tarbouche», raconte le fabricant.

La production de tarbouches au Liban n'a pas échappé à la crise économique qui a éclaté en 2019, un an avant les explosions sur le port de Beyrouth en 2020.

«La fréquentation touristique a chuté, notre travail a ralenti et la demande s'est effondrée», déplore l'artisan qui employait auparavant trois personnes. Les ventes sont tombées à seulement «quatre ou cinq tarbouches par mois», à raison de 30 dollars pièce.

«Aujourd'hui, les gens ne portent presque plus de tarbouches, sauf lors d'évènements traditionnels», explique le Tripolitain.

Ses derniers clients sont principalement des troupes de chants et de danse traditionnels, à l'instar du dabké, ou encore des cheikhs qui continuent de porter le tarbouche, entouré d'un turban blanc.

Malgré tout, Mohammed Al-Shaar, en tenue traditionnelle, portant fièrement le tarbouche, n'est pas près de fermer boutique. «Je sens que mon âme est liée à ce métier», confie-t-il.

Par Téa ZIADE / AFP

Commentaires
  • Aucun commentaire